Chargement du site...
Les évêques
Les fondements juifs du sacrement du pardon : justice et miséricorde

Publié le 23 mars 2018

Les fondements juifs du sacrement du pardon : justice et miséricorde

Le sacrement du pardon, comme son nom l’indique, est un sacrement : c’est-à-dire une action de Dieu qui rétablit la relation, qui permet un dialogue, une rencontre. C’est cette rencontre elle-même qu’on pourrait appeler la sanctification, dans la mesure où Dieu seul est saint et que, dans sa bonté, il nous invite à participer à cette sainteté. Il nous sanctifie. Et lorsque cette relation est altérée, lorsque sa vie ne transforme plus nos vies à cause du péché, il nous rétablit dans son amour, et nous offre sa miséricorde et son pardon. Pour bien comprendre ce sacrement, nous devons donc commencer par contempler l’infinie bonté de Dieu, la gratuité de son amour, qu’il nous offre à chaque instant.

La sanctification ne peut donc pas se confondre avec la perfection morale : d’abord parce que la sanctification n’est pas un acte de l’homme, mais un acte de Dieu auquel l’homme répond librement par sa vie. La sanctification, c’est la rencontre féconde, recréatrice, entre le créateur et l’homme pécheur. Le Seigneur ne peut pas faire de nous des hommes nouveaux si nous ne nous reconnaissons pas pécheurs, il ne peut pas transformer nos cœurs en cœurs de chair si nous n’avons pas admis auparavant qu’ils sont de pierre. Devant le mystère d’un Dieu saint qui se donne à moi, je m’incline, j’adore et je me convertis. Se convertir c’est rompre avec le péché et accueillir la grâce. Et nous, nous sommes plus ou moins bien disposés à recevoir la grâce : non pas en raison d’un psychisme mieux adapté, mais à mesure que nous l’adorons et que nous nous reconnaissons pécheurs.

Pour bien accueillir la force de ce sacrement du pardon, l’infinie miséricorde de Dieu, nous devons auparavant bien comprendre ce qu’est le péché. Le péché n’est ni une erreur commise, ni une imperfection, ni une blessure, même si le péché cause de grandes blessures. Il ne faut surtout pas mettre tout sur le même plan. La blessure n’est pas le péché. Beaucoup voudraient tout expliquer, tout excuser en réduisant presqu’à néant leur responsabilité personnelle. Agir ainsi c’est automatiquement réduire l’amour de Dieu et sa miséricorde. Vouloir tout réduire à des blessures psychoaffectives que nous aurions subies ne conduit qu’à relativiser l’amour de Dieu contrairement à ce que nous pourrions penser. Au nom de l’amour de Dieu, certains voudraient tout excuser au lieu de tout pardonner. Pardonner c’est entrer dans le mystère d’amour de Dieu, dans une dynamique trinitaire. Dieu est don total de lui-même. Il est totalement oblatif. Il est totalement décentrement de lui-même donc très loin de l’attitude autocentrée de celui qui veut à tout prix guérir ses blessures. C’est Dieu qui guérit, mais il veut surtout nous sauver. Sa vraie guérison, ce n’est pas d’abord le soulagement de nos maladies, de nos imperfections. Rappelons-nous ce qu’il a dit à saint Paul : « ma grâce te suffit. Ma puissance se déploie dans la faiblesse ! ».  Il nous sauve en se donnant lui-même et, ce faisant, en nous ouvrant à une fécondité que le fait de rester tourné vers soi empêche. L’isolement et le repli sur soi sont à l’opposé de l’attitude nuptiale, oblative. Le Seigneur nous veut fécond. Nous vivons trop dans une dictature de l’autonomie où la liberté est vue comme une fin et non comme un moyen vers l’amour. Dieu n’efface pas la blessure, il lui donne une fécondité, Dieu n’efface pas le péché, il nous pardonne : ce qui est bien plus grand. Dieu nous invite à trouver notre bonheur non plus en nous-même mais en l’autre, dans l’amour. Aimer Dieu c’est trouver son bonheur dans le bonheur des personnes divines. Nous pourrons aimer en vérité si nous regardons l’autre pour lui-même.  Dieu se présente à nous comme un mendiant, laid, nu, pauvre et qui ne nous apportera aucune gloire, pour que nous puissions l’aimer pour ce qu’il est et pas pour ce qu’il nous donne. Notre liberté ici implique une certaine ignorance de la gloire qui nous attend pour pouvoir aimer sans calcul. Cela explique le silence de Dieu. Si Dieu m’apparaissait dans toute sa gloire, alors je serais obligé de l’aimer. Dieu se présente à nous dans la pauvreté pour que nous l’aimions en toute liberté, en toute vérité dans une attitude oblative.

Dieu n’est jamais dans la comparaison. Parce qu’il est amour il regarde chaque créature pour elle-même et je puis affirmer qu’il aime la Vierge Marie d’un amour indescriptible, infini, de même qu’il aime chacun d’entre nous d’un amour indescriptible et infini. Certes cet amour se manifeste de façon différente pour chacun justement parce qu’il est unique et que Dieu ne compare pas. Sinon on pourrait penser à partir de l’Evangile selon saint Matthieu, (12, 48-50) qu’il aimerait moins la Vierge Marie, ou qu’il préfèrerait les pécheurs en raison de leur péché, puisqu’il est venu pour les pauvres, les malades et les pécheurs. S’il préfère les pécheurs, est-ce à dire qu’il aimerait moins Marie ? Non il préfère chacun de nous puisque son amour pour chacun de nous est infini. Il est impossible d’affirmer que la sainteté, donc l’amour de Dieu en nous, puisse dépendre des hasards de l’hérédité ou des circonstances de la vie. Il est évident que si je réponds par toute ma vie à cet amour de Dieu, mon psychisme, mes habitudes, mes défauts seront transformés, que je deviendrai meilleur, même physiquement. Mon regard, la douceur de mon visage sera comme un reflet de l’amour de Dieu. Mon être en sera transformé dans toutes ses dimensions. Mais tout cela se fait lentement et est une conséquence de la fidélité à la grâce de Dieu, elle n’est pas cette fidélité elle-même. La sainteté d’ailleurs c’est aussi de ne pas juger, c’est-à-dire de ne pas nous situer devant Dieu sinon comme son enfant bien-aimé. Si vous lisez l’insurpassable ouvrage de sainte Thérèse d’Avila, le château de l’âme, n’essayez surtout pas de savoir dans quelle demeure vous vous situez. Le jugement ne nous appartient pas. Seul Dieu peut évaluer notre degré de sainteté. Derrière une apparente humilité peut se cacher un subtil mais tenace orgueil qui sera d’autant plus destructeur qu’il aura l’apparence de la vertu. La seule attitude possible est la remise totale de tout notre être à Dieu dans un abandon confiant.

J’ai donc bien précisé ce que le péché n’était pas. Interrogeons-nous donc sur ce qu’il est, s’il n’est ni une imperfection, ni une erreur, ni une faiblesse, ni une blessure. Le péché ce n’est pas de nous tromper de bonheur ou d’échouer dans la recherche du bonheur. Le péché, pour parler en termes radicaux, c’est de rechercher notre bonheur. C’est ce qui se cache derrière une recherche désordonnée du bonheur. Le péché, c’est se préférer soi-même. J’ai lu récemment un beau témoignage d’un jeune homme qui faisait une confession tout à fait étonnante. Le titre de cette confession c’était : « après un an et demi de mariage, je découvre que le mariage n’est pas fait pour moi ! » A ce genre de titre nous réagissons évidemment avec vigueur et nous pensons soit qu’il est infidèle, inconstant, lâche, ou simplement qu’il aurait pu s’en rendre compte avant ! Mais la conclusion, qui vient après un long développement est lumineuse. Il poursuit sa phrase en disant : je découvre que le mariage n’est pas fait pour moi mais…pour elle ! Cette phrase est magnifique et nous donne la clé de la véritable sainteté. Le pape François nous dit la même chose lorsqu’il nous dit : « Aujourd’hui, on peut rencontrer chez beaucoup d’agents pastoraux, y compris des personnes consacrées, une préoccupation exagérée pour les espaces personnels d’autonomie et de détente, qui les conduit à vivre leurs tâches comme un simple appendice de la vie, comme si elles ne faisaient pas partie de leur identité. En même temps, la vie spirituelle se confond avec des moments religieux qui offrent un certain soulagement, mais qui ne nourrissent pas la rencontre avec les autres, l’engagement dans le monde, la passion pour l’évangélisation. Ainsi, on peut trouver chez beaucoup d’agents de l’évangélisation, bien qu’ils prient, une accentuation de l’individualisme, une crise d’identité et une baisse de ferveur. Ce sont trois maux qui se nourrissent l’un l’autre. » (Evangelii Gaudium n°78)

Si la sainteté c’est entrer dans cette dynamique trinitaire dont nous avons parlé, alors, la sainteté, c’est trouver son bonheur dans le bonheur de l’autre. Etre saint c’est ressembler au seul saint, c’est aimer comme Dieu aime. Le péché c’est donc l’inverse de cela, c’est rechercher son propre bonheur indépendamment de celui des autres. Le péché c’est aimer l’autre pour ce qu’il nous procure, pour ce qu’il nous donne et pas pour ce qu’il est. Finalement la véritable sainteté, le véritable bonheur c’est de parvenir à sacrifier son propre bonheur à celui de l’autre. Le vrai bonheur d’un père ou d’une mère, c’est le bonheur de son enfant ! Voilà où se situent la radicalité de l’Evangile et la vérité de la conversion. Nous commençons à aimer comme Jésus nous a aimés lorsque nous sommes capables de tout sacrifier au bonheur de l’autre. Cette conversion profonde du cœur ne peut se vivre que dans la contemplation amoureuse du cœur de Jésus, de l’amour dont il nous a aimés. Le Christ s’est livré pour nous. A notre manque d’amour, Dieu répond par une surabondance d’amour, à notre refus d’aimer, par une obstination à aimer.

Pour aller un peu plus loin dans cette contemplation de l’amour de Jésus pour chacun de nous, de son pardon, de sa miséricorde, je veux vous faire réfléchir sur la notion de pardon dans la tradition juive.

Dans la tradition juive, il y a deux façons de faire justice. La première dont je voudrais parler est celle que nous connaissons. On l’appelle le Mispat ou jugement. Elle est applicable lorsque l’autre façon de rendre justice, dont je parlerai plus tard, n’a pas fonctionné. Elle est donc imparfaite. Imaginons que Pierre ait été volé de 20 pièces d’argent. Il va voir le juge qui diligente une enquête qui conduit à arrêter Paul. Paul est non seulement condamné à rembourser Pierre mais effectuera aussi une peine de prison. C’est la justice telle que nous la connaissons. C’est celle qui est mise en œuvre dans le procès de Suzanne dans le livre de Daniel.

Le second modèle est beaucoup plus parfait. On l’appelle le Rîb ! Pierre, s’apercevant qu’il s’est fait voler 20 pièces d’argent va voir Paul après avoir acquis la certitude que c’était bien lui le voleur et l’interpelle en l’accusant : « tu m’as volé 20 pièces d’argent ! » Si Paul ne reconnait pas son larcin, on aura recours au jugement, mais s’il reconnaît que c’est lui qui a volé Pierre, alors il lui appartient de réparer en s’accusant, en demandant pardon et en rendant à Pierre ce qui a été volé. Pierre doit accepter de pardonner à Paul et peut même, s’il le souhaite, renoncer à être remboursé, considérant ainsi que le rétablissement de la relation avec Paul, qui avait été brisée par le péché, était beaucoup plus importante que la réalité du vol lui-même. La relation est alors rétablie au-delà de ce que le jugement aurait permis. (Cf. 1S24 et 1S26 et Mt18, 15-17). Le jugement ne rétabli pas la relation mais répare uniquement et condamne. Le Rîb rétablit la relation et même l’affermit ! Le Rîb, vous l’avez peut-être remarqué, a inspiré notre sacrement de la pénitence dans lequel le Seigneur, qui a été blessé par notre péché, nous accuse, par sa parole, par notre conscience, par son amour surtout…Nous reconnaissons notre péché et le Seigneur nous propose une pénitence pour nous associer à la réparation. Pourtant nous réparons infiniment en deçà de ce qui est dû à l’infini bonté de Dieu. Le Seigneur réduit presqu’à néant notre participation à la réparation pour nous rétablir dans la relation, dans la communion avec lui, pour nous rappeler que l’important n’est pas la matérialité du péché mais l’amour qui est renouvelé. L’important n’est pas le péché mais le pécheur qui se convertit. Maintenant regardons le procès par lequel Jésus lui-même est mis en accusation. Alors que Dieu, lorsqu’il est bafoué n’utilise que le Rîb, la miséricorde, lorsqu’il devient l’accusé, les hommes lui refusent tout Rîb, toute miséricorde pour le soumettre au Mispat, au jugement. La condamnation du Christ ressemble à la condamnation de Suzanne. Lorsqu’il n’y a pas de preuve, il suffit de la présence de 2 ou 3 témoins pour que l’accusé soit condamné. Les témoins sont d’autant plus crédibles que la loi juive indique que s’ils sont de faux témoins, ils encourent la peine qu’ils envisageaient de faire subir à l’accusé. Ainsi, étant confondus par Daniel, les deux vieillards du récit de Suzanne sont-ils condamnés à la lapidation à mort à la place de Suzanne. Que se passe-t-il pour Jésus ? Il est accusé de blasphème par deux faux témoins. Nous voyons que dans la notion juive du jugement, du Mispat, il y a toujours un condamné : soit l’accusé s’il est coupable, soit l’accusateur s’il est menteur. Donc nous savons par avance qu’il y aura une condamnation à mort. Jésus est l’envoyé du Père, le Fils bien aimé dont la mission est de faire retourner l’humanité à Dieu. Il a le rôle de l’accusateur, de celui qui doit conduire l’homme à demander pardon. Dans le système du Rîb, l’accusateur a davantage conscience du bien de l’accusé que l’accusé lui-même. Dieu se fait l’accusateur pour nous rétablir dans son amour. Il veut notre bien par-dessus tout, jusqu’à offrir sa vie pour cela !

Jésus aurait pu prouver son innocence lors de son procès, il aurait pu confondre les deux témoins, mais automatiquement il aurait fait condamner les deux témoins à mort. Pour ne pas mentir, pour préserver la vérité tout en manifestant que la charité précède la vérité, la seule attitude possible de Jésus, c’est le silence. « Tu ne réponds rien ? Mais Jésus se taisait ! » Mt26, 63. Les deux témoins, c’est chacun d’entre nous à chaque fois que nous commettons un péché. Par son attitude, Jésus nous prouve qu’il préfère notre bonheur au sien, notre vie à la sienne. Il nous montre que sa vie, il l’offre librement pour nous sauver, parce qu’en accusant la Fils de Dieu nous méritons la mort. Par sa mort il nous donne la vie. La mort de Jésus devient réellement le chemin de la vie. Le mystère pascal, nous sommes nous aussi invités à le vivre. Chacune des morts que nous vivons, chaque humiliation, chaque souffrance, chaque blessure, si elles sont traversées par la grâce, c’est-à-dire si elles ressemblent à ce que Dieu lui-même a fait pour nous, nous ouvrent à la vie.

La parabole du Fils prodigue, aussi belle soit elle, est imparfaite. Jésus nous la livre pour qu’en toute occasion nous puissions revenir au Père, accueillir une nouvelle fois sa miséricorde. Cette parabole est imparfaite mais très adaptée à notre faiblesse. Elle est imparfaite parce que le motif du retour au père est intéressé. Nous serons parfaits, comme notre père céleste est parfait, c’est-à-dire que nous serons saints comme il est saint lorsque nous serons capables d’aimer gratuitement, lorsqu’au péché ne succèdera que la miséricorde. Le fils étant intéressé, il retombera dans son péché. Il quittera à nouveau son père lorsqu’il sera rassasié de ce qui lui manquait : la nourriture. Il repartira, et malheureusement, avec l’expérience, il ne retombera pas dans les mêmes erreurs et peut être même réussira-t-il à avoir une vie heureuse selon le monde, donc malheureuse, mais réussie, pour son malheur. Il faudra alors qu’il attende de découvrir que ce bonheur-là ne comblera jamais le vide laissé en son cœur par l’absence du Père.

Quelle merveille de découvrir, peu à peu, chaque grâce pour chacune de nos fautes, chaque patience, chaque endurance, chaque prévenance, chaque pardon.

Quelle merveille de découvrir peu à peu, au-delà de toutes les patiences de Dieu, son immense impatience de nous voir le rejoindre au plus vite et répondre pleinement à son amour, pour qu’Il puisse, à son tour, nous aimer à satiété.

Quelle merveille aussi d’éprouver dans ce combat d’éternité, le poids soudain de sa présence à l’instant même de la tentation ; quelle merveille de Le trouver venant à notre rencontre au beau milieu du chemin que l’on courait pour le fuir. Bénie soit Notre Dame, la plus sainte de tous les saints, qui, seule, sut deviner et aimer l’amour de Dieu, directement, sans la moindre défaillance, sans avoir jamais eu à le découvrir sous la forme du pardon. Honneur et gloire à tous les saints, qui furent saints non par heureux tempérament ni dons exceptionnels, mais pour avoir su aimer. Une seule chose est importante : rejoindre Dieu, que ce soit debout, sur les genoux ou en rampant, intacts ou blessés, glorieux ou souillés, dans la lumière ou à tâtons ; et nous devrons même, alors, nous réjouir avec Dieu de tout ce qui nous aura aidés à le rejoindre, fût-ce nos péchés.

Sainte Thérèse de Lisieux : « Nous voudrions ne jamais tomber ? Qu’importe, mon Jésus, si je tombe à chaque instant, je vois, par là, ma faiblesse, et c’est pour moi un grand gain. Vous voyez par là ce que je puis faire et maintenant vous serez plus tenté de me porter entre vos bras… Si vous ne le faites pas, c’est que cela vous plaît de me voir par terre… alors je ne vais pas m’inquiéter, mais toujours je tendrai vers vous des bras suppliants et pleins d’amour ! Je ne puis croire que vous m’abandonniez ».

En savoir plus

événements à venir
Découvrez notre magazine
Eglise à Lyon n°71 avril 2024

Suivez-nous sur
les réseaux sociaux