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Les évêques
Quel idéal pour les jeunes de demain

Publié le 21 mars 2018

Quel idéal pour les jeunes de demain

Conférence de carême à l’abbaye saint Pierre de Champagne

Jésus est celui qui répondra aux grandes aspirations de la jeunesse

Le seul évangélisateur, c’est le Christ. Le seul qui connaisse vraiment notre humanité, c’est lui. Son regard est vrai et pénétrant sans cesser d’être doux. Alors, pour répondre à la question : quels défis pour la jeunesse de demain, mon premier réflexe, c’est de poser la question à Jésus. Vous allez me dire : le contexte n’est pas le même qu’à l’époque où il vivait avec ses apôtres, où il prêchait en Galilée, à l’époque du jeune homme riche. Je n’en suis pas si sûr. La jeunesse, à l’époque de Jésus était dans une grande attente, une attente déçue par l’attitude rigide et légalistes des pharisiens qui n’apportaient pas de réponse à leurs grandes questions. Ils attendaient un messie, un sauveur, un héro mais ils en avaient probablement assez de ces faux héros dont la vie n’était pas en adéquation avec leur prédication et qui tombaient dans la tentation du pouvoir, de l’admiration malsaine. L’environnement, en Galilée était un environnement cosmopolite et sécularisé. La religion romaine était un ensemble de superstitions qui les amusaient, mais personne n’y croyait vraiment. Quand aux juifs, beaucoup avaient transformé la thora en une liste de prescriptions impossibles à suivre. Ils avaient transformé la religion de l’Alliance, la religion de la promesse à Abraham, en un système de valeurs. Ce que Dieu attendait pourtant du peuple d’Israël, c’était un cœur à cœur, une relation vivante, amoureuse, qui lui permettrait de transformer leurs vies et de combler les désirs infinis des fils de la promesse.

La jeunesse d’aujourd’hui, comme la jeunesse du temps de Jésus, comme la jeunesse de tous les temps a besoin d’être accompagnée, guidée. Les jeunes ont besoin de pères, de repères. Ils ont besoin qu’on les aime, mais ils ont besoin qu’on les aime en vérité. Ils ne supportent pas qu’on les manipule, même si, mal formés, ils tombent facilement dans les pièges de la manipulation. Finalement ce qui pourrait constituer un beau slogan pour notre jeunesse, et aussi un grand défi, ce sont ces deux merveilleux versets du psaume 84 : « Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent »

La question de la vérité est primordiale, pour la jeunesse de toutes les époques, mais pour la jeunesse d’aujourd’hui en particulier, parce que le XXème siècle a été le siècle des mensonges : mensonges de ces idéologies athées qui ont promis un salut horizontal et utopique, mensonges des années 1970 où on leur affirmait que l’amour humain, quand ce n’était pas la seule sexualité vécue de façon débridée, pouvait combler toutes les attentes de leurs cœurs. Mensonges aussi de notre environnement catholique où, parfois, à mesure que la foi diminuait et que la rencontre avec le Dieu vivant n’était plus entretenue, il fallait la remplacer par un système de valeurs. Mais notre Eglise n’est pas une association philanthropique, elle est le corps du Christ, le temple de l’Esprit Saint. Vouloir remplacer cette rencontre avec le Dieu vivant pas des valeurs qui seraient partagées par certaines familles, dans un certain milieu, en vue d’une certaine cohésion sociale, c’est organiser sa mort. Jésus nous a mis en garde contre ce messianisme temporel qui ne fait pas la place à la catholicité de l’Eglise, donc à sa grande diversité, condition de son unité. A ce propos, attention à l’affirmation, trop humaine de notre identité chrétienne. Pour rejoindre la thématique générale de vos conférences de carême, je dirais que l’Eglise préfère, à la notion d’identité, la notion de personne. Ceci est le principe de base de la doctrine sociale de l’Eglise Catholique. La personne humaine est un cadeau, un don. En tant que telle elle se reçoit, elle s’accueille. Elle ne se choisit pas ! Parce que la personne est riche, complexe, elle est traversée de multiples identités : ainsi je suis français, mais aussi artiste ou motard. Je suis évêque et homme masculin. Si je regarde ces identités pour elles-mêmes, je risque de les vivre dans le conflit, en opposition avec les autres au lieu de les vivre en relation, en complémentarité et comme des richesses. Ainsi, si je considère uniquement mon identité de motard je risque de la vivre en opposition aux automobilistes, mon identité de français en opposition aux étrangers, ou d’évêque contre les laïcs, ou d’homme contre les femmes. Faire droit à la complexité du vivant est une façon d’en reconnaître la richesse. La vie de Dieu, la grâce, n’est pas une identité, mais elle doit infuser, influer toutes nos identités. Dieu s’intéresse à tout ce qui fait notre vie. Il est très important de rappeler cela aux jeunes lorsqu’ils ont tendance à vivre chaque dimension de leur existence de façon séparée. Il n’y a pas d’un côté la famille, de l’autre la vie chrétienne (avec la messe du dimanche et la prière du soir), de l’autre le travail, et enfin la détente entre amis, où Dieu serait exclu ou étranger.
La personne humaine a plusieurs dimensions, plusieurs préoccupation. Son bonheur est lié aussi à son unité, à cette unité de vie qui permet de donner un sens à toutes nos activités, à toutes les dimensions de notre être, à toute nos identités. Ce principe de la dignité de la personne est considéré comme le premier principe, dans la mesure où la personne humaine est au cœur de la doctrine sociale de l’Eglise. L’Etat, le groupe ethnique, la tribu ou même la famille, sont au service de la personne, et non l’inverse, même si la personne peut et doit servir ces groupes humains, parce qu’ils contribuent au bien de la personne humaine. Rester enfermé dans un milieu, dans un environnement social ou politique, c’est réduire le fait d’être catholique à l’obéissance à un système de valeurs. Mais ceci aussi est un mensonge. Autre mensonge que nous n’avons probablement pas initié mais involontairement entretenu est lié au corps et à la sexualité. On a entretenu le fait que le péché était lié au corps, au sexe ; que la sainteté c’était quelque chose de spirituel par opposition au corporel. Du coup, la question de la sexualité n’a pas été suffisamment abordée, valorisée, et l’éducation affective relationnelle et sexuelle n’a pas été proposée comme une réponse aux grandes questions de la jeunesse des années 1970. Nous avons trop tardivement abordé cette question et laissé la parole à ceux qui proposait une idéologie libertaire. La liberté me semble être justement l’un des grands défis pour la jeunesse d’aujourd’hui.

Liberté, égalité, fraternité.

Lorsque nous interrogeons les jeunes sur ce qu’est, pour eux, la liberté, la réponse que nous entendons est variable : « la liberté, c’est faire ce que je veux, quand je veux, comme je veux, c’est n’être influencé par personne ! » Certains ajoutent « être libre, c’est ne plier le genou devant personne, rester droit dans ses bottes ! » Lorsque j’étais aumônier d’hôpital, je m’agenouillais devant les malades, parce que la psychologue qui m’avait formé m’avait dit que c’était plus pratique et plus respectueux. En restant debout, me disait-elle, on est trop haut, trop dominant. En étant assis, on est trop loin, trop distant. En étant à genou, à côté du lit, on est à la bonne distance, à la bonne hauteur ; on peut prendre la main du patient, délicatement et lui parler doucement. Cette attitude est vraie, aussi parce qu’en étant à genou, on reconnait, en l’autre, la présence de Dieu lui-même, la présence du Christ. En nous mettant à genou, nous redonnons à l’autre sa dignité et sa liberté, sans perdre la nôtre. Au contraire, en nous mettant à genou, dans une telle attitude, de charité, d’humilité, de compassion, nous retrouvons nous-mêmes notre propre liberté. La liberté, ce n’est pas de refuser de se mettre à genou, la liberté c’est d’apprendre à se mettre à genou devant plus grand que soi. « Les pauvres sont nos maitres » disait saint Vincent de Paul. La liberté, ce n’est pas de faire ce qu’on veut, quand on veut, comme on veut. La liberté, ce n’est pas d’être influencé par personne. Cette liberté-là, qu’on appelle « liberté d’indifférence » nous plonge dans un esclavage bien pire, l’esclavage vis-à-vis de nous-mêmes, l’esclavage vis-à-vis du péché. Si la liberté, c’est de n’être influencé par personne, alors je suis libre de tout, sauf d’aimer, parce que lorsque j’aime, je suis influencé, évidemment par la personne que j’aime. La liberté, c’est de choisir par qui nous sommes influencés.

Jeunes qui êtes ici, vous serez libres, non pas à mesure que vous serez comme les autres, que vous serez dans une illusoire égalité qui se conjugue davantage avec la médiocrité qu’avec la liberté. L’égalité à laquelle vous aspirez en choisissant de vivre, d’aimer, de servir, ce n’est pas l’égalité dont on ne cesse de nous parler et qui fait de nous des clones. Cette fausse égalité nous attire vers le bas et recherche désespérément le plus petit dénominateur commun pour en faire un point à atteindre. L’égalité que le Seigneur souhaite entre vous, c’est une égalité par le haut. Il vous veut heureux, il vous veut saints. Il veut que vous donniez le meilleur de vous-mêmes, que vous atteigniez votre sommet, celui qui fera de vous un être unique loin des comparaisons déprimantes. Nous serons alors tous différents, tous profondément aimables, tous beaux d’une beauté où nos imperfections et même nos blessures seront transfigurées par la grâce de la miséricorde, du pardon et de l’amour. Nous sommes beaux à mesure que nous avons vécu, nous sommes beaux du temps que nous avons passé auprès de ceux qui souffrent, des larmes de compassion que nous avons versées, nous sommes beaux de la sueur et du sang que nos visages de Christ auront laissé perler.

Nous avons souvent une fausse image de la pureté. La pureté n’est pas une valeur à conserver, quelque chose que vous auriez reçu à la naissance et que vous essayeriez, tant bien que mal, de conserver malgré les souffrances et les rencontres, comme on regarde s’écouler de nos mains repliées le sable qu’on essaye de garder. La pureté ne se garde pas, elle va se chercher, dans la charité. La pureté, pour nous, c’est une personne, c’est le Christ en croix. Il est sale, il est sanguinolent, il transpire…parce qu’il s’est livré, parce qu’il a tout donné, parce qu’il a accepté de se salir. Ne restons pas « droits dans nos bottes », nous serions rigides et stériles. La pire des impuretés, c’est de se replier sur soi. Jeunes qui êtes ici et vous les plus âgés, si vous voulez vous adresser aux jeunes, proposez-leur de grands idéaux, et parmi eux, le défi de la charité, dites-leur de se salir les mains, d’aller au contact de l’autre, tel qu’il est et non tel que nous le rêvons. Alors ils vivront la vraie fraternité ! Si nous reconnaissons dans le frère le visage du Christ, sa pureté, sa beauté, sa bonté, irradiera notre cœur d’une lumière apaisante et nous deviendrons des reflets de sa sainteté. La fraternité nous dit aussi que nous ne serons jamais saints tous seuls. L’Evangile nous le rappelle. Ils étaient quatre à porter le brancard, ils étaient douze à porter l’Eglise. Nous devons réapprendre à avoir besoin des autres. La société, parfois, nous fait croire qu’une certaine autonomie qui voudrait se passer des autres, est un idéal à atteindre. L’idéal que nous propose le Christ, c’est l’idéal d’une fraternité que lui-même a su créer, autour de lui. Lorsque je célèbre le sacrement de la confirmation à des jeunes, j’aime lorsque leurs parrains et marraines mettent leurs mains sur leur épaule gauche et me permettent en leur faisant l’onction de poser ma main sur leur épaule droite. Est ainsi signifié que vivre en chrétien, être forts selon saint Paul, c’est avoir besoin de Dieu, représenté par l’évêque, c’est avoir besoin des autres, représentés par les parrains et marraines. Une philosophe, Corrine Pelluchon, a développé ce qu’elle appelle une « éthique de la vulnérabilité » qui rejoint, dans son domaine, ce renversement des valeurs que le Christ opère et que saint Paul exprime lorsqu’il dit « lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort ». Les jeunes d’aujourd’hui savent qu’ils sont faibles, ils en font l’expérience régulièrement mais on leur dit qu’ils sont forts. On leur ment à nouveau ; c’est le mensonge de la communication, des réseaux sociaux. Ils n’ont jamais été aussi seuls et pourtant leur page facebook leur dit qu’ils ont des centaines d’amis. Ils s’imaginent tout puissants parce qu’ils ont accès à toutes les informations, parce qu’à partir de leur ordinateur ils croient pouvoir tout faire. Mais nous savons que leur vraie force c’est d’être capable de sortir d’eux-mêmes, de leurs chambres, de leurs canapés comme dirait le pape François, de leur égoïsme. Leur vraie force c’est d’être capable d’appeler leur meilleur ami, celui avec lequel ils n’auront pas besoin de mentir ou de se forger une image sociale. Cet ami est présenté, dans l’Evangile, sous la figure de l’apôtre saint Philippe : « voilà un homme qui ne sait pas mentir ! ». Ce que les jeunes attendent, c’est d’être aimé, tels qu’ils sont, pour eux-mêmes, quitte à ce qu’on soit exigeant avec eux, quitte à ce qu’on leur montre les sommets. C’est ce que fait Jésus tout au long de l’Evangile. Pour vous le prouver, j’ouvrirais simplement l’évangile d’aujourd’hui, mais je pourrais ouvrir l’évangile d’hier ou de demain. Il est l’idéal des jeunes de demain. Relisons quelques passages de cet évangile :

Ils abordèrent Philippe, qui était de Bethsaïde en Galilée, et lui firent cette demande : « Nous voudrions voir Jésus. » Philippe va le dire à André, et tous deux vont le dire à Jésus. Alors Jésus leur déclare : « L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié. Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle. Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ; et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur.

Dans cet évangile, il y a tout : la soif des jeunes qui sont en quête de vérité, en recherche d’idéal. Il y a l’ami, Philippe, dont la mission est de nous conduire à Jésus, et qui reconnaît ainsi qu’il n’a pas la réponse à tout. Il est fidèle et humble. Nous y voyons la soif de liberté des futurs apôtres, leur désir de réussir leur vie. Nous voyons aussi la réponse exigeante de Jésus qui leur dit en substance : « Si vous voulez être libres, n’ayez pas peur d’être vulnérables et pauvres de cœur, risquez tout, jusqu’à votre propre vie, alors vous serez heureux, du bonheur des béatitudes. »

L’idéal de notre pays, liberté, égalité, fraternité, est un bel idéal qui nous rendra heureux, si nous n’inversons pas ces valeurs. Nous savons combien notre jeunesse a soif d’être aimée, certes mais elle a également soif de vérité. Elle se cherche des interlocuteurs crédibles et dont la cohérence de vie témoigne de la sincérité de leur message. Face à cette soif de la jeunesse, le père du mensonge propose une réponse mensongère, une inversion des valeurs. Cette fausse réponse nous a fait croire que la liberté c’était de n’être influencé que par soi-même, alors que c’est être influencé par celui qui nous libère de notre égoïsme en nous offrant son amour et sa vie. Elle nous a fait croire que l’égalité c’était de faire comme tout le monde, alors que la véritable égalité, c’est l’égalité des sommets, que nous atteignons, grâce à Dieu, lorsque nous déployons dans notre vie notre grâce propre, ce qui nous rend unique au monde. Elle nous a fait croire que la fraternité pouvait se passer de Dieu, alors que nous sommes frères, non pas parce que nous nous aimons (cela se saurait !) mais parce que nous sommes tous les enfants du même Père, notre Dieu, le seul véritable idéal qui nous permettra de réussir notre vie, d’être utile au monde en étant pleinement fils, en étant pleinement nous-mêmes. Alors ne soyons pas dupe et mettons toute notre confiance en Jésus, qui est lui-même la réponse à toutes nos aspirations, à toutes les grandes aspirations de notre jeunesse.

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