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Les évêques
« Je suis venu apporter un feu sur la terre »

Publié le 20 novembre 2018

« Je suis venu apporter un feu sur la terre »

Avec la fin de l’année liturgique, et particulièrement avec ce 33ème dimanche de l’année liturgique, les lectures nous invitent à méditer sur les fins dernières, c’est-à-dire sur la fin du monde. Elle le fait de façon très imagée pour décrire une réalité que nous ne pouvons pas décrire et que nous avons souvent bien du mal à comprendre. La lecture du livre de Daniel, nous rappelle l’essentiel : Le Seigneur ne nous abandonne pas, il ne nous laisse pas « dans la poussière de la mort », mais il nous invite à entrer dans sa vie, dans la vie éternelle. Pour décrire ces réalités de la vie éternelle, nous employons des images qui décrivent l’infini : le ciel, le firmament, les étoiles. Mais à quoi ressemblera cette éternité ? L’Eglise nous parle, dans son enseignement, du paradis, du purgatoire et de l’enfer. Nous avons souvent la tentation de rejeter ces expressions et de nous satisfaire d’une chansonnette pour évacuer la question : « nous irons tous au paradis ! » Est-ce si sûr ? Le problème théologique qui se pose, concernant l’enfer, c’est : comment peut on penser un lieu où Dieu serait absent ? Et, si Dieu est présent partout, et qu’il est l’Amour, le Bien, comment seulement penser l’existence du mal, et plus encore d’un lieu d’où le bien serait exclu ?

Prenons donc cette question à bras le corps et voyons ce que nous en dit l’Ecriture.

Pour décrire ces trois réalités, on trouve dans l’Ecriture, la même image, celle du feu. Ainsi le paradis est-il le brasier ardent de l’amour de Dieu : « l’amour est fort comme la Mort, la passion, implacable comme l’Abîme : ses flammes sont des flammes de feu, fournaise divine. » Ct 8, 6. Le mystère de la Résurrection est symbolisé, à la veillée pascale, par ce feu qui illumine la nuit de la mort.

Concernant le purgatoire, l’une des images scripturaires qui est souvent utilisée, est celle de la première épitre aux corinthiens dans laquelle saint Paul nous dit que nous serons éprouvés par le feu : « l’ouvrage de chacun sera mis en pleine lumière. En effet, le jour du jugement le manifestera, car cette révélation se fera par le feu, et c’est le feu qui permettra d’apprécier la qualité de l’ouvrage de chacun. » 1Co 3, 13

Et concernant l’enfer, il est presque toujours décrit, lui aussi comme un feu, à l’image de ce qui est dit dans le livre de l’Apocalypse : « Et le diable qui les égarait fut jeté dans l’étang de feu et de soufre »

Il y a vraiment de quoi s’y perdre ! Pour décrire ces trois réalités qui semblent opposées, on emploie le même mot. Dans le livre de Daniel il y a un autre passage qui décrit magnifiquement cette réalité de l’enfer et du paradis. C’est la fournaise dans laquelle les trois enfants sont jetés par le roi Nabuchodonosor parce qu’ils avaient refusé de se prosterner devant un faux dieu. Le feu ne les brûle pas alors que ce même feu a brulé à mort ceux qui ont jeté les trois enfants dans la fournaise. Ce feu représente Dieu lui-même. Dieu est partout présent et rien n’échappe à son amour. Nous ne pouvons donc pas imaginer un lieu où Dieu serait absent. A notre mort, nous serons en relation avec Dieu lui-même et son amour, qui est comparé à un feu brûlant. La vraie question, c’est de savoir comment je réagirai face à ce feu de l’amour de Dieu. Soit mon âme, et tout mon être sont « brulants d’amour », tellement j’ai aimé, tellement je me suis laissé aimer, tellement j’ai répandu autour de moi l’amour que Dieu avait lui-même répandu dans mon cœur par son Esprit. Alors je n’aurai pas peur de me précipiter dans ce brasier d’amour. Ce brasier ne me sera pas étranger. J’aurai tellement « vécu d’amour », comme dirait sainte Thérèse de l’Enfant Jésus que je me précipiterai dans ses bras. Nous en connaissons tous des âmes, enflammées d’amour, comme sainte Thérèse de Calcutta ou le nouveau bienheureux Oscar Romero, ou comme ces mystiques comme saint Jean de la Croix qui décrivent leur expérience de Dieu, comme une « vive flamme d’amour » !

Mais Dieu se propose toujours. Jamais il ne s’impose. Il respecte trop ma liberté pour me forcer à l’aimer. Pour que ma réponse d’amour soit une réponse libre, il faut que j’aie la possibilité de l’accepter ou de le refuser. Je sais que si j’ai vécu de cet amour dans ma vie, il n’y a aucune raison que je le refuse. Si j’ai visité les malades, donné à manger aux plus pauvres, si j’ai considéré en chaque personne humaine la présence de Dieu lui-même, comme Jésus nous y invite, lorsque, dans la parabole du jugement dernier il nous dit « ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40), alors l’amour de Dieu brûle déjà en moi. Mais imaginons que mon cœur ait toujours refusé d’aimer, qu’il ait sciemment refusé l’amour de Dieu, que mon cœur soit froid comme un glaçon, indifférent, totalement replié sur lui-même. L’enfer, c’est d’avoir perdu jusqu’à la dernière étincelle d’amour. Sans amour en moi, je ne peux plus comprendre l’amour, je ne peux plus l’accepter, je ne peux qu’être brûlé, agressé par lui. Rien en moi ne lui correspond. J’aime si peu que l’Amour m’est insupportable. Donc rien en moi ne peut se réjouir du contact avec l’Amour. L’enfer n’est pas un lieu, c’est un état : l’état de froideur absolue, d’indifférence totale à l’autre, de repli définitif sur soi. Pour celui qui n’est plus capable d’aimer, l’enfer c’est les autres. Dans Huis Clos, Sartre avait raison : il décrivait l’amour comme un enfer pour celui qui ne sait plus aimer. Pour ceux qui ont toujours refusé Dieu et son amour, vivre une communion d’amour devient un enfer, alors que pour les autres, cette même communion, cette fraternité avec Jésus et entre nous est le bonheur suprême

Il me semble cependant que la majorité d’entre nous, sommes encore attirés par l’amour, désireux de le recevoir, de le communiquer, d’en vivre. Il nous arrive parfois de refuser d’aimer, de rejeter la main que Dieu nous tend de multiples manières, et particulièrement dans le visage du frère, dans le visage du pauvre. Nous ne sommes ni des saints, tout brulants d’amour, ni des démons. Nous sommes de pauvres pécheurs, prêts à le reconnaître et à en demander pardon. Le Seigneur nous permet alors de vivre ce qu’on appelle une purification. Oui le Seigneur m’offre le temps de me convertir, de me transformer, de me laisser parfaire par lui. En contact avec l’amour infini de Dieu, je me sens bien imparfait, bien indigne, et je le supplie de me laisser le temps de me préparer. Oh Dieu ne nous refuse jamais d’entrer, il nous invite toujours, il nous accueille toujours, c’est nous qui, librement, soit nous précipitons dans ses bras, soit le refusons définitivement, soit choisissons de nous préparer à la rencontre définitive en nous purifiant. Toute notre vie est d’ailleurs déjà une préparation à la vie éternelle, mais dans son infini miséricorde, Dieu nous offre encore et toujours une possibilité, même après notre mort, adaptée à notre inconstance et à notre médiocrité. Nous sommes bien souvent tièdes et nous le savons, et Dieu aussi le sait, alors il nous offre encore une chance. Il ne sait quoi inventer pour que nous soyons heureux, la charité, la prière, les sacrements. Il nous comble de cadeaux ! Il ne nous reste plus qu’à les recevoir, avec reconnaissance.

Ce dont nous devons être sûrs, c’est que Dieu est amour, que cet amour nous est toujours offert. Jamais Dieu ne nous empêche d’aimer et d’être aimé par lui. Par ailleurs il mettra toujours tout en œuvre pour que nous vivions de cet amour. En Dieu il n’y a aucun mal. Le mal, c’est de ne pas choisir le bien, c’est de rejeter l’amour auquel Dieu nous invite. Alors choisissons la vie, choisissons d’aimer et d’être aimés par lui, dès maintenant, et même si nous n’y arrivons pas, ayons recours à son pardon, à sa miséricorde qui nous réchauffe le cœur !

« Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! » Lc 12, 49

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