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Droit, juridique, économie du diocèse
A quoi sert le droit dans l’Eglise ?

Publié le 17 novembre 2016

A quoi sert le droit dans l’Eglise ?

On oppose souvent la froideur du droit à la douceur de la miséricorde. A quoi bon des normes juridiques quand on a une loi d’amour ? Saint Augustin lui-même n’a-t-il pas écrit « Aime et fais ce que tu veux » ? Pas si simple. Le père Eric Besson, directeur du Studium de droit canonique de Lyon, et le père Nicolas de Boccard, official de Lyon, nous expliquent ce que le droit apporte à la justice et à la charité à tous les niveaux de l’Eglise. Notamment en matière matrimoniale, qui constitue l’essentiel des procédures.

C’est un scandale de donner en charité ce qui est dû en justice. » : pour expliquer à quoi sert le droit dans l’Eglise, le père Nicolas de Boccard, responsable de l’officialité interdiocésaine de Lyon, aime citer cette phrase tirée de Rerum novarum, l’encyclique de Léon XIII sur la condition des ouvriers à la fin du XIXe siècle. « Pour que l’amour et le pardon puissent s’épanouir, il faut qu’il y ait un ordre où les droits de chacun soient respectés », affirme-t-il avec force. Cette exigence de justice est la raison d’être de ceux qui sont engagés au service du droit dans l’Église catholique.

Quelle est la finalité du droit canonique, appelé aussi droit ecclésial ? Il sert à « organiser l’espace ecclésial, afin que tous les baptisés puissent épanouir leur vocation dans la diversité des appels et des charismes reçus », résume le père Besson, juge à l’officialité et directeur du Studium de droit canonique, l’institut qui enseigne le droit canonique à Lyon pour le quart sud-est de la France (lire l’encadré). En effet, rappelle-t-il, tous les membres de l’Église reçoivent au moment du baptême un certain nombre de droits et de devoirs pour développer leur vie spirituelle : « L’ignorance des règles importantes du droit ecclésial nuit au bon fonctionnement des structures ecclésiales et peut mener à des abus de pouvoir et à des injustices, même involontaires. Une meilleure connaissance des normes canoniques aide ainsi chacun, clercs, laïcs et communautés, à mieux se situer et à mieux réaliser la mission au service de l’Evangile. »

Comme tout corps constitué et organisé, l’Eglise a besoin du droit pour réguler son activité. Le droit canonique regroupe ainsi l’ensemble des règles (kanôn en grec) qui régissent la vie de l’Église à ses différents niveaux (universel, diocésain, local) et selon ses divers aspects : organisation des ministères et des fonctions, gestion des biens temporels, règlement des éventuels conflits internes, etc. « La vie de toute l’Eglise universelle, la vie des diocèses et des paroisses, des communautés religieuses et des associations est organisée par le droit ecclésial, parfois sans que les acteurs en aient bien conscience ! » constate le père Éric Besson. La plupart de ces normes sont rassemblées dans le Code de droit canonique, qui a été promulgué par Jean-Paul II en 1983, en application du concile Vatican II.

Le droit ecclésial s’applique localement à travers des instances spécifiques. L’officialité interdiocésaine de Lyon, aussi appelée tribunal ecclésiastique interdiocésain, est ainsi chargée par les évêques des provinces ecclésiastiques de Lyon et de Clermont de l’administration de la justice dans leur diocèse. C’est à elle que revient la mission de juger les inévitables conflits dans l’Église. « Contentieux, échecs matrimoniaux, actes scandaleux, abus de pouvoir : toutes les actions blessant la foi et la charité doivent pouvoir obtenir justice et réparation devant une instance neutre », explique le père Besson. La compétence de l’officialité de Lyon s’étend aux douze diocèses qui la composent : Annecy, Belley-Ars, Chambéry, Clermont, Grenoble, Le Puy-en-Velay, Lyon, Moulins, Saint-Etienne, Saint-Flour, Valence et Viviers.

L’officialité est placée sous la responsabilité d’un official, aussi appelé vicaire judiciaire. Elle est composée de juges, de défenseurs du lien du mariage (ou du sacerdoce), d’un promoteur de justice, de notaires et d’avocats ecclésiastiques (lire le témoignage). Ils sont prêtres ou laïcs, la plupart bénévoles, et ont été dûment formés au droit ecclésiastique.

Quels dossiers aboutissent sur le bureau de l’officialité ? Pour l’essentiel ce sont des procédures matrimoniales portant sur la validité du lien du mariage. Mais le tribunal intervient aussi dans des situations de conflit ou d’abus qui peuvent se produire dans les diverses composantes de la vie ecclésiale (diocèses, paroisses, communautés religieuses, associations, etc.). Il est saisi, bien sûr, en cas d’affaires pénales impliquant des fidèles, prêtres ou laïcs – notamment dans les dossiers de pédophilie. Dans ce domaine, la procédure ecclésiastique n’intervient habituellement que lorsque la procédure pénale civile est terminée afin d’éviter les interférences entre les deux instructions. L’officialité instruit enfin les dossiers de prêtres demandant à être relevés de leur sacerdoce.

Beaucoup d’idées fausses circulent sur les demandes de nullité de mariage. Il faut récuser le terme parfois encore employé d’ « annulation de mariage ». En effet, on ne peut annuler un mariage qui, en tant que sacrement, est un acte du Christ. Toutefois, dans certaines circonstances, on peut être amené à déclarer pour un motif grave qu’il n’y a pas eu mariage. La procédure n’est pas réservée à une élite, mais est ouverte à tous et elle ne consiste aucunement à brader le sacrement de mariage. L’examen d’un dossier prend toujours en compte l’histoire particulière d’un couple : « Déclarer un mariage nul ou invalide n’est pas annuler une histoire humaine qui a été vécue, assure le père Nicolas de Boccard. Cela consiste à reconnaître, après une enquête approfondie et pour des motifs graves, que le lien matrimonial sacramentel ne s’est pas établi au moment de l’échange des consentements ». En ce domaine, le vice de consentement est le chef de nullité le plus fréquemment invoqué. Il peut être lié à une immaturité profonde, une pression familiale trop forte, le mensonge du conjoint qui menait une double vie. « Reconnaître l’invalidité d’un mariage est une démarche de vérité sur ce qui a été vécu à ce moment-là. Pour certaines personnes, ce processus peut être réellement libérateur », ajoute le père Besson.

Engager une procédure de reconnaissance de l’invalidité du sacrement de mariage n’est donc pas une démarche anodine (lire le témoignage d’Olivier). Ce n’est pas un « divorce catholique », et il ne s’agit aucunement de juger les personnes. L’objectif est d’évaluer le consentement échangé le jour du mariage dans un processus d’écoute, où chaque partie peut être accompagnée par un avocat.

C’est pour favoriser l’accès à cette démarche que, en décembre 2015, le pape François a promulgué deux motu proprio qui réforment la procédure en la simplifiant dans certains aspects. En effet, le recours à la justice ecclésiastique n’est pas suffisamment connu : « Le droit de l’Eglise n’est pas suffisamment utilisé, regrette le père Nicolas de Boccard. C’est dommage parce que le droit permet l’épanouissement de la charité. Sans la charité, le droit se rigidifie et peut tomber dans un positivisme ; mais sans le droit, la charité n’a pas d’ossature, elle ne va pas jusqu’au bout de son exigence, elle devient affective. » L’official de Lyon observe que l’on oppose encore trop souvent la loi et l’esprit. Pourtant, rappelle-t-il, « Jésus dit à la femme adultère : ”Va, mais désormais ne pêche plus.” La miséricorde réclame la justice, il ne faut pas les dissocier. » Un constat partagé par Ségolène (le prénom a été modifié), avocate ecclésiastique à l’officialité de Lyon : « On ne reconnait pas assez le côté pastoral du droit. Les démarches canoniques sont pourtant un lieu irremplaçable pour que les personnes soient entendues, fassent la lumière sur leur histoire, soient libérés de lourds fardeaux et se remettent debout. »

Si le mot juridique est parfois mal compris, c’est parce qu’on le connaît généralement à travers les principes du droit des sociétés civiles. « Pour la grande majorité de nos contemporains, explique le père Eric Besson, le droit exprime ce qui est imposé par la loi, ce qui est une contrainte, voire une limite à ma liberté. “Juridique” est souvent associé aux mots “tribunal”, “pénal”. » Le droit ecclésial, lui, s’organise autour d’autres principes : « La loi est une règle qui exprime ce qui est juste, ce qui me fait grandir humainement et spirituellement, et permet à mes frères de faire de même. Le système canonique est centré sur la notion de personne appelée au salut par l’amour du Christ, ce qui lui donne une tout autre optique que le droit séculier. » C’est ce que rappelle le dernier canon du Code de droit canonique qui dispose qu’il ne faut jamais « perdre de vue le salut des âmes qui doit toujours être dans l’Église la loi suprême ».

Y.-M. D.