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Les évêques
Homélie de Mgr Emmanuel Gobilliard pour le jeudi saint 2020

Publié le 09 avril 2020

Homélie de Mgr Emmanuel Gobilliard pour le jeudi saint 2020

Nous entrons dans le triduum pascal, dans le silence de la passion où Jésus se présente comme l’agneau immolé qui n’ouvre pas la bouche. Il insiste sur un mode de présence efficace parce que discret et respectueux des personnes : le silence ! Ce silence qui nous oblige à une réponse d’amour, à une attitude d’amour. Le silence de Jésus est présent tout au long du mystère pascal. Même si nous entendons sa voix, en particulier dans le grand discours de ce soir, pendant la cène, il ne le prononce pas pour se justifier, pour juger ou pour expliquer. Ce grand discours est d’abord une prière à son père, une prière d’offrande et d’intercession.

Le silence est en revanche frappant au moment du lavement des pieds. Par un geste il nous dit tout, il se met à genoux devant chacun de nous et il se présente comme le dernier des esclaves, comme celui qui n’a pas droit à la parole, comme celui qui nous dit que pour aimer, il faut aussi savoir se taire et agir. En ces temps où tant de nos contemporains sont en grande souffrance, malades ou soignants débordés, personnes seules ou familles confinées dans 50 m2, personnes handicapées et personnes de la rue, personnes âgées et tous ceux qui continuent de travailler dans des conditions difficiles, Jésus s’approche de chacun d’eux non pas pour se justifier ou pour expliquer, mais simplement pour être à leurs côtés. Notre monde, où trop souvent on juge et on critique, on se pose en experts et on cherche des explications ou des significations apocalyptiques, Jésus se tait. Dans notre monde où le plus pauvre est méprisé, où les valeurs économiques sont plus importantes que le respect de la vie et surtout de la vie fragile, Jésus se tait. Il pourrait se lever, protester, répliquer mais il se tait et il embrasse les pieds de ses apôtres comme il embrasse les pieds de chacun d’entre nous et les pieds de ceux qui ne sont pas considérés, les pieds des pauvres et des malades, mais aussi les pieds des pêcheurs, des orgueilleux et des coupables. Il se met au service de notre humanité. Son silence est un enseignement puissant. Ce silence, il le vit aussi devant Pilate. Lorsque Pilate lui demande d’où il vient, Jésus se tait. Jésus se tait aussi lorsqu’il chemine avec les disciples d’Emmaüs désespérés. Son silence touche les cœurs bien plus puissamment que tous nos discours. Sachons nous taire aussi, pour mieux agir, pour moins juger, pour moins calomnier, pour mieux aimer. Jésus se tait enfin dans l’Eucharistie. Tous les discours se taisent devant Jésus Hostie parce que seule la foi peut approcher le mystère. Personne ne peut vraiment comprendre le mystère de l’Eucharistie parce qu’on n’enferme pas Dieu dans un concept. Même si l’intelligence peut m’aider à m’approcher du mystère, il y a un moment où il faut aussi que l’intelligence se taise. C’est le mystère de l’adoration où je reçois tout de Dieu, d’un Dieu pauvre, serviteur, aimant, d’un Dieu muet aussi, qui m’aime et dont je me sais aimé et qui m’invite à me taire, à faire taire mes murmures et mes plaintes, mes soucis aussi, mes explications trop faciles et mes justifications. En ce moment, le silence de Dieu se manifeste également dans le fait que l’Eucharistie elle-même se tait, et ne peut vous rejoindre. Nous devons vivre la présence la plus simple de Dieu, sa présence d’immensité, sa présence en nous, par le simple fait que nous sommes, qu’il nous crée, qu’il nous aime

Il y a trois grandes dimensions de l’Eucharistie : l’Eucharistie reçue, mais vous ne pouvez plus la recevoir, l’Eucharistie adorée, mais vous ne pouvez plus vivre ces temps d’adoration qui vous soutenaient, et l’Eucharistie vécue. Cette dernière, vous pourrez toujours la vivre. Aujourd’hui, parce que les circonstances nous empêchent de vivre les deux premières dimensions, la providence nous invite, plus que jamais, à vivre la troisième. Que nos vies soient eucharistiques. Vivre l’Eucharistie, c’est aussi répondre à Jésus qui nous dit : « J’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi …Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. »

Oui, soyons des cadeaux pour nos frères, soyons de vivantes offrandes à la louange de sa gloire, et apprenons que les deux premières dimensions sont ordonnées au service de l’autre. Notre monde angoissé, inquiet, a besoin de votre sourire, de votre espérance. Ouvrons notre cœur à la présence du Seigneur, dans une communion spirituelle où Dieu se rend présent à nous pour que nous le rendions, par nos mains, nos voix, nos attitudes, présent aux autres. Mais attention, l’adoration est toujours possible. Elle est un acte d’humilité par lequel nous redisons à Jésus : « Sans toi je ne peux rien faire ! Donne-moi la foi, l’espérance et l’amour car sans toi j’aurais beau donner tous mes biens aux pauvres et les servir, j’aurais beau être martyr même, sans toi, sans l’amour, je ne suis rien qu’un cuivre qui résonne. » L’adoration est un acte de disponibilité aussi : je suis là Seigneur, auprès de toi pour que tu me transformes, que tu transformes mon cœur, pour que je sache aimer comme toi, aimer avec toi, en toi. Dans ce moment de silence et de lutte intérieure aussi qu’est la prière personnelle, Jésus nous transforme. Si nous ne vivons pas de l’adoration, nous aurons beau nous donner nous-même dans le service, nous n’aurons donné que nous-même alors que le monde attend beaucoup plus : il a besoin de Dieu. En étant des âmes d’adoration nous donnons Dieu au monde. Adoration et service se répondent, se réclament mutuellement, et les deux sont toujours possibles, quelles que soient les situations.

 

Si nous ne savons pas comment le vivre dans les circonstances actuelles, demandons à la Vierge Marie de nous y aider, elle qui a vécu de façon tellement aigüe le silence de Dieu, son absence, en particulier le samedi saint. Quand je pense que certains revendiquent le droit à l’Eucharistie, comme on revendique le droit à posséder un objet. Nous n’avons aucun droit dans ce domaine. La pauvreté, l’humilité, et l’obéissance sont les seuls droits, les seuls privilèges que nous avons vis-à-vis de Dieu. Et si nous en vivons, nous sommes sûrs que Jésus sera présent en nous, et s’il ne l’est pas à travers l’Eucharistie, pour différentes raisons il y sera autrement.

 

Ressemblons à Jésus, recevons Jésus qui viendra sur un simple désir de notre part, pour qu’il puisse, à travers nous, laver les pieds de tous ceux qui ont tant besoin de sa présence silencieuse et aimante. Amen

 

 

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