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Les évêques
Homélie des funérailles de Pierre Troisgros

Publié le 29 septembre 2020

Homélie des funérailles de Pierre Troisgros

Ce mardi 29 septembre 2020 Mgr Emmanuel Gobilliard a célébré les funérailles de monsieur Pierre Troisgros, à Roanne. Retrouvez ci-dessous son homélie.

 

Dans la première lecture, nous avons entendu avec bonheur, que le Seigneur allait essuyer toute larme de nos yeux. Il veut que nous soyons heureux et fiers, que nous soyons dans l’espérance. Alors pour signifier ce bonheur à venir qu’il souhaite pour nous, pour nous donner une image de ce que peut être le paradis, c’est-à-dire la communion avec lui et entre nous pour toujours, il prend une image. Il a dû réfléchir avant de trouver cette image. Comment signifier le bonheur familial, la convivialité, la joie partagée ? Je ne peux pas trouver, se dit Dieu de plus belle image de ce que je veux leur dire, que l’image d’un repas. Imaginez l’heureuse surprise de monsieur Pierre en entrant dans ce bonheur éternel que Dieu lui promet ! Il est accueilli par Dieu qui se fait pour lui le maître du banquet. Pierre aura revêtu son plus bel habit. Il aura revêtu ce qu’il est, ce qu’il a toujours été, il se sera drapé de son humour bienveillant et parfois décalé, de son humilité, de sa simplicité, de sa générosité. Oui, quand nous paraîtrons devant le père, nous serons revêtus de ce que nous sommes, des valeurs que nous aurons cultivées patiemment, du bonheur que nous aurons communiqué, des plaisirs que nous aurons partagés. Nos sentiments profonds ne seront plus pudiquement recouverts du tablier de la modestie. Ils seront dévoilés. Nous avons l’habitude de cacher notre cœur, là-haut il sera révélé. Seule la charité, l’amour, demeure pour toujours. Donc Pierre sera revêtu de toutes ses qualités qui nous ont marquées, qui nous ont soutenues et qui font que nous sommes tristes aujourd’hui, parce qu’il n’est plus là, qui font que nous sommes fiers en même temps de ce qu’il a transmis.

Dieu, quant à lui, aura revêtu la toque et le tablier, il se sera paré, comme en miroir, du sourire que Pierre aimait arborer sous son éternelle moustache quand il savait qu’il avait quelque chose de bon à offrir, de ses yeux rieurs aussi. Et il va lui faire une sacrée surprise. Le paradis, comme Isaïe l’a annoncé, c’est un bon repas ! « Le Seigneur préparera pour tous les peuples, sur sa montagne un festin de viandes grasses et de vins capiteux, un festin de viandes succulentes et de vins décantés. Sur cette montagne il fera disparaître le voile de deuil. »

Certains risquent d’être étonnés, lorsqu’ils se retrouveront à ce banquet, eux qui pensaient que la gourmandise était un vilain péché. A ce sujet, je voudrais profiter du texte de l’Évangile que vous avez choisi pour rétablir certaines vérités et tordre le cou à des idées toutes faites mais tenaces. L’Évangile nous rappelle que nous sommes appelés au bonheur. L’Évangile nous invite aussi à ne pas mettre sous le boisseau ce qui doit être connu, révélé, ce qui est bon. Oui la gourmandise est un péché mais nous nous trompons lourdement sur ce qu’est vraiment la gourmandise. Le péché c’est ce qui nous détruit, ce qui nous replie sur nous. Le péché empêche la relation, avec Dieu, avec nos semblables, avec nous-mêmes, et avec la création. C’est donc exactement l’inverse de ce que vous proposez, vous qui voulez offrir du plaisir aux autres, de la convivialité, qui voulez faire connaître les merveilles de la création, de la nature, qui y ajoutez votre créativité et votre travail. Appliqué à la nourriture, le péché de gourmandise, c’est plutôt de mal manger, de manger de mauvais produits qui nous détruisent. Ce serait aussi d’en profiter sans les partager, d’en profiter sans reconnaissance, vis-à-vis de la nature qui nous les offre, donc du créateur, sans reconnaissance à l’égard des éleveurs, des pêcheurs et des cultivateurs, sans reconnaissance à l’égard de ceux qui les assemblent savamment, les transforment et les embellissent, sans reconnaissance à l’égard des artistes que vous êtes. Vous êtes au service de la beauté, de la bonté, de la rencontre et du plaisir partagé. Eh oui, le plaisir non plus n’est pas un péché ! D’ailleurs le pape vient de le rappeler : « L’Eglise a condamné le plaisir inhumain, brut, vulgaire, mais elle a en revanche toujours accepté le plaisir humain, sobre, moral. Le plaisir arrive directement de Dieu, il n’est ni catholique, ni chrétien, ni autre chose, il est simplement divin. Le plaisir de manger sert à vous maintenir en bonne santé en mangeant, tout comme le plaisir sexuel est fait pour rendre plus beau l’amour.

Le pape fustige la mentalité bigote qui refuse la notion de plaisir. Une fausse image du plaisir a fait d’énormes dommages, qui se ressentent encore fortement aujourd’hui dans certains cas. Au contraire le plaisir de manger comme le plaisir sexuel viennent de Dieu.

Le pape a rappelé à cette occasion son admiration inconditionnelle pour le film Le Festin de Babette, qui se déroule dans une communauté protestante danoise ultra puritaine du XIXe siècle, conviée à un somptueux banquet préparé par une cuisinière française qui gagne à la loterie. «Pour moi c’est un hymne à la charité chrétienne, à l’amour», a écrit le pape.

Cela aurait été un péché au contraire, qu’on mette, comme le dit l’Évangile la lampe sous le boisseau, cela aurait été un péché, si monsieur Troisgros, comme beaucoup de vous, aviez négligé de partager les dons que vous avez reçus, les saveurs que vous avez découvertes, le travail que vous avez accompli. La cuisine est divine, lorsqu’elle crée du lien, lorsqu’elle crée du lien entre les ingrédients eux-mêmes, grâce à l’art, à l’audace et à l’intelligence du chef, lorsqu’elle crée du lien entre nous et la nature, lorsqu’elle crée du lien entre chaque personne aussi, lorsqu’elle nous réunit, lorsqu’enfin elle crée du lien avec le créateur, qui est bienheureux, lorsque nous sommes heureux tout simplement !

Parce que vous avez su transmettre fidèlement, avec votre frère Jean ce que vous aviez reçu, parce que vous avez atteint l’excellence sans cesser de rejoindre chacun, parce que vous avez fait la fierté de tout le roannais, parce que vous nous avez fait connaître au-delà des frontières, jusqu’au Japon, tout en restant bien de chez nous. Merci monsieur Troisgros.

La vie éternelle est un banquet, alors, chef, bienvenue à table ! Rejoignez l’Olympe et installez-vous, Pierre, aux côtés de Jean et de Paul, de Jean-Baptiste et de Marie. Vous formez un beau groupe d’apôtres. Puissiez-vous avoir de nombreux disciples ! Et laissez-vous maintenant servir par le maître du repas, le maitre de la vie, le Seigneur Jésus lui-même, qui, le jeudi saint a pris le tablier de serviteur pour que nous ayons la vie, pour que nous entrions dans cette vie éternelle à laquelle nous aspirons tous, vie de communion fraternelle et de joie.

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