Publié le 26 juin 2023
« Le péché est entré dans le monde » dit saint Paul, « et ainsi la mort est passée en tous les hommes ».
Ces paroles illustrent le réalisme de la foi chrétienne. Nous ne sommes pas dans un monde de bisounours. D’ailleurs les médias nous le rappellent tous les jours.
Et ce que la foi chrétienne nous fait comprendre, c’est qu’il n’y a pas les bons d’un côté et les méchants de l’autre ; les méchants russes d’un côté et les bons ukrainiens de l’autre…
« La mort est venue dans le monde » dit saint Paul : ça veut dire qu’il y a quelque chose de mortifère qui traverse le cœur de tout être humain ; comme un virus qui s’est répandu dans le monde entier.
Il y a certes un combat entre le bien et le mal, mais il ne s’agit pas d’un combat entre un Dieu bon et un Dieu mauvais. Le cœur de tout être humain est bon, créé à l’image de Dieu, mais il est blessé. Nous sommes tous marqués par cette blessure originelle.
Et saint Paul ajoute : « la grâce de Dieu s’est répandue en abondance sur la multitude ». La grâce de Dieu vient guérir cette blessure intérieure.
La mission du prêtre est d’être au service de cette grâce ; il est serviteur de la grâce. C’est pour ça que la mission du prêtre est sublime.
Comment se manifeste-t-elle cette grâce ? Celui qui aime Dieu est-il préservé de ce mal dont parle saint Paul ?
Dans l’Ancien Testament les prophètes – ceux qui parlent au nom de Dieu – sont persécutés. Et souvent, ils ne comprennent pas. « Mais que fait Dieu ? » Vous l’avez entendu, Jérémie, qui est persécuté, s’adresse à Dieu : « fais-moi voir la revanche que tu leur infligeras ! »
Et c’est un peu la même idée dans le psaume : « c’est pour toi que j’endure l’insulte ! On t’insulte et l’insulte retombe sur moi ! »
Les croyants ont du mal à comprendre pourquoi Dieu, qui est tout-puissant, ne fait pas disparaitre les méchants. C’est qu’ils ont du mal à imaginer l’inimaginable.
Et dans l’Evangile, Jésus dit : tout ce que je vous ai dit, « proclamez-le sur les toits ! » Il les prévient : vous serez persécutés, mais « ne craignez pas les hommes… ne craignez pas ceux qui tuent le corps ».
Comment comprendre ces paroles ? comment les mettre en pratique dans le contexte actuel ? Nous sommes devenus minoritaires, le monde d’aujourd’hui a largement rejeté les repères venus du christianisme, et il faut bien reconnaitre que nous subissons une forme plus ou moins larvée de persécution.
Que faire ? comment se comporter ?
Aujourd’hui deux tentations opposées se présentent à nous. Je les décris de façon un peu caricaturale pour mieux faire comprendre.
La première tentation, c’est de se taire ; en tout cas de ne pas parler de ce qui fâche. C’est de vouloir présenter un beau visage de l’Eglise pour être bien vu du monde. On devient tellement obsédé par ce désir de plaire au monde qu’on finit par adopter l’esprit du monde ; et même par lui appartenir, pour reprendre l’expression de saint Jean :
« Si vous apparteniez au monde, le monde aimerait ce qui est à lui. Mais vous n’appartenez pas au monde » (Jn 15,19).
Dans cette logique, qui est finalement très ecclésio-centrée, on peut être davantage préoccupé par l’Eglise que par l’évangélisation. Et parfois, on s’imagine que tout irait mieux si on réformait l’Eglise de la cave au grenier.
Le risque, finalement, c’est de refuser le combat spirituel, et de contourner le mystère de la Croix.
La tentation opposée, ce n’est pas de refuser le combat, c’est de se tromper de combat. On ne craint pas de dénoncer le mal, mais au lieu de combattre le mal lui-même, on combat ceux qui font le mal.
On finit par tomber dans une vision manichéenne du monde. On se replie entre « gens bien » pour se protéger du monde dont on a peur. On se prend pour le « petit reste » de purs par qui le monde va être sauvé. On est fort pour dénoncer ce qui ne va pas chez les autres, mais on est aveugle vis-à-vis de ses propres contractions. Là aussi le mystère de la Croix est contourné.
Au fond, ce n’est plus le Christ mort et ressuscité que l’on défend, c’est un système politico-culturel ; c’est la chrétienté. On n’a pas encore compris l’inimaginable.
Je vous l’ai dit, j’ai forcé le trait pour mieux faire comprendre les dérives possibles. Ne croyez pas que je renvoie dos à dos deux groupes de catholiques. Ce serait tomber dans le piège du diviseur. Nous sommes tous plus ou moins confrontés à ces deux tentations. Je les décris simplement pour mieux mettre en lumière l’inimaginable.
Et quel est-il cet inimaginable ? Les mots sont maladroits pour le décrire. L’inimaginable, c’est Jésus en croix. Jésus, c’est Dieu qui s’est fait l’un de nous. Tellement l’un de nous qu’il s’est mis dans la peau de tous ceux qui ont été, qui sont ou seront persécutés pour la justice. Il a pris la place de celui qui est rejeté et qui ne comprend pas pourquoi Dieu n’intervient pas. Et nous connaissons cette parole incroyable de Jésus en Croix, Jésus qui pourtant est Dieu et qui crie : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »
L’inimaginable, c’est que Dieu a voulu vaincre la haine par l’amour. Et pour cela il lui a fallu subir le mal. Après sa résurrection, Jésus dit aux disciples d’Emmaüs : « ne fallait-il pas que le Fils de l’homme souffrit tout cela ? » Vous n’avez donc pas compris ?
Frères et sœurs, soyons lucides et humbles. Suivre le Christ suppose de marcher sur un chemin de crête étroit. Il ne s’agit ni de refuser le combat ni de se tromper de combat. Le combat dont il s’agit, c’est celui qui n’évite pas la Croix ; c’est le combat de la charité, la charité qui nous permet d’aimer jusqu’à nos ennemis.
Les discours ne peuvent pas vraiment faire comprendre ce mystère. Seule l’expérience de l’amour du Christ pour nous peut nous mettre en route sur ce chemin.
Pour cela « il suffit que tu ouvres les yeux », comme dit le psaume ; il suffit que tu ouvres ton cœur, que tu te laisses visiter par la grâce.
Hier, j’ai confirmé des jeunes lycéens. Parmi eux, il y avait une « ouvrière de la dernière heure » qui s’est jointe au groupe il y a à peine 3 mois parce que d’autres jeunes ont témoigné devant elle de leur foi. Elle était agnostique, ou « spirituelle à louer les étoiles et la nature », dit-elle, et voilà qu’elle est touchée par la grâce. Elle découvre le Christ, et elle écrit : « dorénavant, j’ai la foi. Je n’imagine plus ma vie sans Jésus. Depuis que je l’ai rencontré, je veux que mes actions se calquent sur sa volonté ».
Augustin et Vincent, vous n’avez pas donné votre vie pour défendre une institution. Vous avez donné votre vie pour que se répande en abondance la grâce qui vient de Dieu. Cette grâce qui guérit nos blessures, qui nous fait expérimenter l’amour infini du Christ pour nous. Vous avez donné votre vie pour que beaucoup puissent rencontrer le Christ. Le Christ qui nous dit aujourd’hui : laisse-toi aimer par ton Dieu ; permets-moi de demeurer en toi ; et puis viens, suis-moi.
+ Olivier de Germay