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Les évêques
Homélie pour le Jeudi saint

Publié le 18 avril 2019

Homélie pour le Jeudi saint

Nous entrons dans le triduum pascal, dans le silence de la passion où Jésus se présente comme l’agneau immolé qui n’ouvre pas la bouche. Il insiste sur un mode de présence efficace parce que discret et respectueux des personnes, le silence ; ce silence qui nous oblige à une réponse d’amour, à une attitude d’amour. Le silence de Jésus est présent tout au long du mystère pascal. Même si nous entendons sa voix, en particulier dans le grand discours de ce soir, pendant la cène, il ne le prononce pas pour se justifier, pour juger ou pour expliquer. Ce grand discours est d’abord une prière à son Père, une prière d’offrande et d’intercession. Le silence n’est pas une absence de paroles, mais une attitude de toute la personne qui écoute et intériorise, qui fait taire les bruits de haine et de jugement pour accueillir, tout simplement.

Le silence est frappant au moment du lavement des pieds. Par un geste il nous dit tout, il se met à genoux devant chacun de nous et il se présente comme le dernier des esclaves, comme celui qui n’a pas droit à la parole, comme celui qui nous dit que pour aimer, il faut aussi savoir se taire et agir. Dans un monde où le mensonge est d’autant plus présent que l’amour véritable est absent, dans un monde où l’on juge, où l’on critique, où l’on condamne, dans un monde où le plus pauvre est méprisé, où les valeurs économiques sont plus importantes que le respect de la vie et surtout de la vie fragile, Jésus se tait. Il pourrait se lever, protester, répliquer mais il se tait et il embrasse les pieds de ses apôtres comme il embrasse les pieds de chacun d’entre nous et les pieds de ceux qui ne sont pas considérés, les pieds des pauvres et des malades, mais aussi les pieds des pêcheurs, des orgueilleux et des bourreaux. Il se met au service de notre humanité. Son silence est un enseignement puissant. Ce silence, il le vit aussi devant Pilate. Lorsque Pilate lui demande d’où il vient, Jésus se tait. Jésus se tait aussi lorsqu’il chemine avec les disciples d’Emmaüs désespérés. Son silence touche les cœurs bien plus puissamment que tous nos discours. Sachons nous taire pour mieux agir, pour moins juger, pour moins calomnier, pour mieux aimer. Jésus se tait enfin dans l’Eucharistie. Tous les discours se taisent devant Jésus Hostie parce que seule la foi peut approcher le mystère. Personne ne peut vraiment comprendre le mystère de l’Eucharistie parce qu’on n’enferme pas Dieu dans un concept. Même si l’intelligence peut m’aider à m’approcher du mystère, il y a un moment où il faut aussi que l’intelligence se taise. C’est le mystère de l’adoration où je reçois tout de Dieu, d’un Dieu pauvre, serviteur, aimant, d’un Dieu muet aussi, qui m’aime et dont je me sais aimé et qui m’invite à me taire, à faire taire mes murmures et mes plaintes, mes soucis aussi, mes explications trop faciles et mes justifications. Soyons des apôtres, des serviteurs de l’Eucharistie dans ses trois dimensions : serviteurs de l’Eucharistie adorée, de l’Eucharistie reçue, de l’Eucharistie vécue. L’adoration eucharistique c’est ce que Jésus nous demande dès cette nuit qui vient, au moment de l’agonie : « tu n’as pas eu la force de veiller une heure ? Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation ! » L’adoration est un acte d’humilité par lequel nous redisons à Jésus : « Sans toi je ne peux rien faire ; donne-moi la foi l’espérance et l’amour car sans toi j’aurais beau donner tous mes biens aux pauvres et les servir, j’aurais beau être martyr même, sans toi, sans l’amour je ne suis rien qu’un cuivre qui résonne. »
L’adoration est un acte de disponibilité aussi : je suis là Seigneur, auprès de toi pour que tu me transformes, que tu transformes mon cœur pour que je sache aimer comme toi, aimer avec toi, en toi. Dans ce moment de silence et de lutte intérieure aussi, Jésus nous transforme. Si nous ne vivons pas de l’adoration, nous aurons beau nous donner nous-mêmes dans le service, nous n’aurons donné que nous-mêmes alors que le monde attend beaucoup plus : il a besoin de Dieu. En étant des âmes d’adoration nous donnons Dieu au monde.

La deuxième dimension de l’Eucharistie, c’est l’Eucharistie vécue, partagée ; c’est ma vie offerte à Dieu, c’est ma vie unifiée par la charité, par le don, à l’image de celui de Jésus qui nous donne tout aujourd’hui comme il nous a tout donné hier et tous les jours de sa vie terrestre. La messe, c’est le lieu où je recueille tout ce que j’ai reçu pour l’offrir au Père, par les mains du Fils. Ô Père, voici toute ma vie, ma vocation et mon métier, ma famille et mes amis, mes loisirs et mes passions. Je te présente tous ceux que j’ai rencontrés, ceux que j’aime et ceux que je voudrais mieux aimer. Tout ce que j’ai fait, tout ce que suis ; tout cela n’est rien sans ta puissance créatrice. Oui je sacrifie mon efficacité à ta fécondité. C’est toi qui donne un sens à tout ce que je vis. Je t’offre aussi mes chutes et mes faiblesses, mes échecs, mes lourdeurs et mes déceptions. Tu sauras en faire l’occasion d’aimer davantage, l’occasion de me convertir à la folie de la croix où l’échec devient Rédemption où la mort est vaincue et devient le moyen de la Vie. Dans cette messe, prend ma vie pour qu’elle devienne ta Vie.

Enfin la troisième façon de vivre l’Eucharistie, c’est le service du Pauvre : c’est l’Eucharistie vécue et transmise. Le Christ s’est fait le dernier, le plus pauvre aussi, pour que nous le servions dans nos frères. Vivre l’Eucharistie, c’est aussi répondre à Jésus qui nous dit : « J’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi ! »

Le Jeudi Saint se vit dans ces trois dimensions que nous pouvons résumer en reprenant des phrases de la Parole de Dieu : « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, je vous procurerai le repos ! » Le repos du cœur, c’est d’être aimé, en particulier par celui qui a donné sa vie pour nous. Venons à lui qui nous attend dans tous les tabernacles du monde, venons lui confier nos vies, nos souffrances et nos difficultés, nos fatigues pour qu’il nous procure le vrai repos, qu’il parle à notre cœur et nous apprenne à aimer.

« C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres, qu’on vous reconnaitra pour mes disciples ». La communion eucharistique est le signe de la communion entre nous. Le prolongement naturel de la messe, c’est à la charité fraternelle, le pardon et la bienveillance.

« Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » Le signe que nous sommes en communion avec Jésus c’est l’attention que nous portons aux plus petits, aux plus pauvres. Reconnaissons en eux la présence même de Jésus qui nous tend les bras, qui réclame notre attention. Il s’est rendu présent dans la pauvreté de l’hostie pour nous faire comprendre qu’on ne peut l’honorer dans l’Eucharistie sans l’honorer dans le plus petit d’entre les siens. Sachons puiser à la source de l’amour, sachons nous aimer entre nous, sachons transmettre l’amour auprès de ceux qui en ont le plus besoin, alors nous serons de vrais témoins de l’Eucharistie dont nous célébrons aujourd’hui l’institution. Amen

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