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Les évêques
Homélie pour l’ordination des diacres

Publié le 21 septembre 2020

Homélie pour l’ordination des diacres

Découvrez ci-dessous l’homélie de Mgr Emmanuel Gobilliard, à l’occasion de l’ordination diaconale en vue du sacerdoce d’Adrien Dagois et d’Amaury Martini, à l’église Notre-Dame des Victoires de Roanne, samedi 20 septembre 2020.

 

J’aimerais revenir sur ce qui s’est passé au début de notre célébration, grâce à vous, chers jeunes qui demandez le baptême et qui venez de l’exprimer publiquement. C’est la première fois que je célèbre une entrée en catéchuménat en même temps qu’une ordination diaconale. Peut-être faudrait-il le faire plus souvent parce que cela nous rappelle le lien qui existe entre le baptême et tous les autres sacrements, et donc le lien entre le baptême et l’ordination. Le baptême, c’est la porte d’entrée, c’est le sacrement des sacrements ; c’est celui qui nous confère la dignité d’enfants de Dieu, la dignité de prêtre, de prophète et de roi. Dans les ordinations diaconales, presbytérales et épiscopales, nous retrouvons cette triple dimension : la dimension prophétique s’exprime dans le diaconat, la dimension sacerdotale dans le presbytérat et la dimension royale, celle par laquelle le Christ nous envoie pour gouverner, dans l’épiscopat. Tout nous renvoie au baptême. Aujourd’hui, puisque nous célébrons des ordinations diaconales, je voudrais revenir sur la dimension prophétique. Quelle est la différence entre un baptisé, qui est prophète à la suite du Christ, et un diacre ? La mission du diacre, c’est non seulement de proclamer la parole, de la vivre, mais c’est aussi de la faire vivre chez les autres. La mission du diacre c’est de réveiller cette dimension prophétique chez tous les baptisés. Chers frères diacres, soyez témoins de la parole de Dieu pour nous inviter tous à être témoins de la Parole. Être témoin de la Parole, ce n’est pas seulement la proclamer le dimanche à la messe, c’est d’abord la ruminer, la goûter, la savourer. C’est ensuite se laisser convertir par elle. Accepter qu’elle nous change, qu’elle nous bouleverse, qu’elle nous fasse quitter nos lieux coutumiers, nos idées toute-faites ou nos postures confortables qui nous évitent de réfléchir et de nous remettre en question. Être témoins de la parole c’est aussi, comme je l’ai dit, être prophète. Qu’est-ce qu’un prophète ? Je vous rassure, le prophète n’est pas d’abord celui qui va prédire l’avenir. Un prophète c’est, à l’image d’Isaïe, de Jérémie, d’Amos, un homme comme les autres ; un pécheur qui a été choisi au cœur de sa vie, de son métier, avec ses forces et ses faiblesses, ses joies et ses espoirs. C’est un homme qui a été pris au milieu du peuple d’Israël, comme aujourd’hui ces hommes sont pris parmi les baptisés. Ils n’en sont pas dignes, et d’ailleurs Jérémie et Isaïe le rappellent dans le récit de leur vocation. Parfois même, pendant leur ministère ils n’auront pas très envie. Bon, aujourd’hui ces candidats au diaconat sont plein de fougue, mais il y aura de la lassitude et des doutes. Il faudra qu’ils se forcent, un peu comme Amos, c’est pour cela que j’ai voulu parler de lui. Il était bien tranquille à « pincer les sycomores » dans sa campagne et le Seigneur lui demande de prophétiser dans des circonstances extrêmement difficiles.

Le prophète dans l’ancien testament, c’est quelqu’un qui va à contre-courant.  On pense à tort qu’aller à contre-courant c’est être rabat-joie ou passéiste. C’est tout le contraire. Pour bien vous le faire connaître, prenons la période que nous vivons. Le monde est inquiet, critique à l’égard du pouvoir. Il vit dans la peur et se recroqueville sur lui-même. La situation est difficile, mais moins difficile cependant qu’à l’époque du prophète Jérémie, à l’époque de la déportation. La mission du prophète, aujourd’hui comme hier, c’est de proposer une espérance. Souvenez-vous du pape François, au milieu de la tempête extérieure et de la pluie, au cœur de la tempête qu’est la situation sanitaire, proclamant devant une place Saint-Pierre vide mais aussi devant des millions de téléspectateurs assoiffés d’une autre parole, la bonne nouvelle de l’Evangile ! Il nous disait ce jour-là, en reprenant les paroles de Jésus aux apôtres au moment de la tempête apaisée : « C’est moi, n’ayez pas peur ! » Je suis là, nous dit Jésus, à vos côtés ! Votre mission de prophètes c’est de réveiller la mission prophétique de chaque baptisé qui se doit d’être un signe d’espérance dans un monde qui en a tant besoin.

Soyez des prophètes de la joie. Notre monde a tellement besoin de joie. Oh pas de cette joie psychologique qu’il faut exciter pour qu’elle se déclenche, mais de cette joie mariale, qui vient du fond du cœur, du fond d’un cœur qui se sait aimé infiniment, qui se sait sauvé, qui sait que sa vie a un sens et qu’il n’est pas seul. La communauté est source de joie. Ces temps-ci, il y a des tentations de divisions, soyez prophètes de l’unité. Beaucoup sont tentés de crier avec les loups : tout fout le camp, tout est foutu, il n’y a plus de croyant. Cette expression « il n’y a plus de croyants », elle est biblique, donc vous voyez qu’on n’a rien inventé. Le moment où il y a eu le moins de croyants dans l’histoire de l’Eglise, c’était le vendredi saint. Vous devez être les témoins du mystère pascal. Cette espérance pascale, elle ne vient pas de nous, mais de Dieu. Dans la mission il n’y a pas d’obligation de résultat. On ne vous demande pas de remplir les églises, de compter les adeptes ou d’organiser des pèlerinages grandioses. On vous demande de mettre les gens en relation personnelle et intime avec le Seigneur Jésus. La fécondité de l’Eglise, c’est lui, et cette fécondité elle passe souvent par une mort apparente et parfois par l’échec, comme à la croix. Dans la première lecture, le prophète nous dit : « vos pensées ne sont pas celles de Dieu ». Nous reprochons à Dieu de s’éloigner, mais c’est nous qui nous trompons de route, qui prenons la pente descendante, celle du succès ou de la lamentation devant l’échec. Dieu ne s’éloigne jamais. C’est nous qui nous éloignons. Soyez des prophètes de la proximité de Dieu, de son amour, de sa miséricorde. Oui, « Le Seigneur est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour ; la bonté du Seigneur est pour tous, sa tendresse, pour toutes ses œuvres. » Le prophète c’est celui qui parle au nom de Dieu. Vous serez tentés de juger, peut-être de condamner, de classer les gens dans des catégories, comme moi, comme chacun de nous, parce que nous sommes pécheurs, mais votre mission, c’est de réfréner ces penchants mauvais et de proclamer, non pas vos pensées, mais celles de Dieu, non pas vos idées, mais la proximité de Dieu et son action.

Croire que Dieu est proche, c’est croire qu’il nous rejoint dans les circonstances de nos vies, dans le présent aussi, dans le présent surtout. Nous avons souvent tendance à laisser aller notre imagination, à vouloir d’autres circonstances, à prévoir, ou à regretter les temps passés. Dieu se donne aujourd’hui, et il s’adapte aux méandres de nos vies marquées par la souffrance, par le péché aussi. Nous croyons trop vite, lorsque nous avançons d’un pas le jour de notre ordination que nous allons suivre le Christ et les fidèles qui sont présents dans cette église croient que vous donnez votre vie et que vous allez suivre Jésus, les bras en croix et le cœur totalement livré. Lorsque vous serez plus vieux, vous comprendrez, d’abord qu’on est appelé à suivre le Christ quelle que soit notre vocation, et ensuite que derrière cette pieuse expression, il y a une autre réalité. La vérité c’est que nous n’arrivons pas à le suivre, que nous passons par des creux et des vagues et parfois même par des tempêtes, que nous nous éloignons de lui, comme le dit Isaïe. En fait, nous ne suivons pas le Christ. C’est impossible de le suivre. En fait, c’est lui qui nous suit, qui s’adapte, qui passe avec nous, par nos creux, nos vagues et nos tempêtes. La vie chrétienne ce n’est pas de regarder vers le haut en espérant croiser le regard de Dieu, mais c’est plutôt d’accepter de tourner la tête sur le côté pour s’apercevoir qu’il est là, qu’il n’a jamais cessé d’être là, qu’il ne nous abandonne jamais. Cette réalité, cette spiritualité réaliste vivez-là vous-mêmes et proclamez-la pour les autres. Proclamez à ceux qui se croient loin de Dieu, à ceux qui se croient trop pécheurs, ou trop différents, qu’aucune situation, aucun péché, aucune infidélité ne nous empêche d’avoir encore accès à Dieu. Dans le plus grand pécheur, il y a encore de quoi faire un grand saint. Il suffit qu’il le veuille. Il suffit qu’il se laisse toucher par Dieu et la douceur de sa miséricorde. Être prophète c’est proclamer ce Dieu-là, celui qui s’est incarné en Jésus, celui qui aime, qui sauve, qui guérit et qui soulage, celui qui pardonne et qui réconcilie, celui qui pacifie ! Soyez des prophètes du présent, pour que les gens apprennent à se sanctifier au cœur des réalités de leur vie. C’est la deuxième lecture qui nous dit cela. Lorsque saint Paul dit : « soit que je vive, soit que je meure, le Christ sera glorifié dans mon corps. », il est en captivité, et il y a de grandes chances qu’il soit effectivement exécuté. Et il arrive, au cœur de ces difficultés, à dire en substance : « Rien n’est grave ! » Le Seigneur demeure. Je vais peut-être mourir, je vais peut-être vivre, que m’importe, du moment qu’il est là à mes côtés. L’Eglise ne repose pas sur moi, mais sur le Christ, la pierre angulaire. Lorsque vous tournerez la tête pour découvrir que le Seigneur est présent à vos côtés, souvenez-vous que le service de l’Eucharistie, le service diaconal de l’Eucharistie se poursuit dans le service du pauvre. A peine après avoir été ordonné diacre, alors que je servais dans un hôpital de phase terminale des maladies infectieuse, j’ai été profondément marqué par ce passage de l’Evangile en Matthieu 25 où il est dit : « ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait. » J’ai été, à ce moment-là, saisi intérieurement par une vérité que je n’avais pas encore vraiment comprise : oui, dans l’Evangile il y a l’affirmation de la présence réelle de Dieu dans l’Eucharistie : « ceci est mon corps » ; il y aussi l’affirmation de la présence réelle de Dieu dans le pauvre : « C’est à moi que vous l’avez fait ! » Le Christ ne dit pas, c’est à quelqu’un que j’aime que vous l’avez fait, ou à quelqu’un qui me représente. Jésus ne dit pas « ceci représente mon corps », il dit : « ceci EST mon corps », de la même manière qu’il a dit : « C’est à MOI que vous l’avez fait ! » En ces temps difficiles, nous avons eu parfois la tentation d’opposer le service de l’Eucharistie et le service du pauvre. Comment puis-je, en tant que chrétien, servir en vérité mon frère ou ma sœur si je ne vais pas puiser à la source de l’amour, si je ne rencontre pas le Christ personnellement, pour que ce ne soit pas moi qui me donne avec mes pauvretés et mes péchés, mais lui à travers moi. Si je n’ai pas rencontré le Christ avant de rencontrer mes frères, alors je ne donne que moi-même, ce qui est déjà bien. Mais si je rencontre le Christ régulièrement, si je suis pétri par lui, si pour moi « vivre c’est le Christ », alors, dans le service de l’autre, je donne Dieu lui-même, son espérance, sa joie, sa vie. De la même manière, si je ne poursuis pas le service de l’Eucharistie dans le service de l’autre, j’ai oublié l’essentiel aussi, j’ai oublié de donner une fécondité à mon adoration, à ce service eucharistique. Les deux sont inséparables. Soyez les serviteurs de l’Eucharistie célébrée, de l’Eucharistie vécue. Soyez les prophètes d’un Dieu qui se donne dans l’humilité du pain et dans la simplicité d’une rencontre, dans le service quotidien de ceux qui crient. Soyez ces prophètes mais souvenez-vous que si j’ai cité Jérémie, Isaïe, Amos au début de cette homélie, aujourd’hui, de prophète, il n’y en a plus qu’un ! De même qu’il n’y a qu’un seul maître, qu’un seul père, il n’y a qu’un seul prophète, le Seigneur Jésus. C’est lui qui nous sauve, c’est lui qui nous aime infiniment… au point de nous faire participer à sa triple dignité de prêtre, de prophète et de roi, au point de se donner, par nous. Quelle humilité de Dieu ! Quel mystère aussi. Mystère de l’Amour et de la confiance que Dieu nous fait.

 

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© Nicolas Choulet