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Témoignages de prêtres et séminaristes pendant la guerre 14-18

Témoignages de prêtres et séminaristes pendant la guerre 14-18

Cette année, nous commémorons le centenaire de la guerre 14-18. Nous vous proposons de découvrir les témoignages de séminaristes et prêtres, morts pour la France, qui racontent à travers des lettres, leur vie dans les tranchées auprès de tous les soldats envoyés au front.

 

Séminaristes, prêtres : hommes de Dieu et citoyens

 

« Il n’y a pas eu de brisure dans leur vie au 1er août 1914 ; simplement l’ardeur de leur sacerdoce a trouvé une nouvelle voie, comme un fleuve qui se heurtant à un obstacle se jette dans une autre direction avec plus d’impétuosité. Ils n’ont pas été prêtres et soldats, mais prêtres-soldats. »1
Mgr Lavallée.

Leur vocation sacerdotale s’est conjuguée à leur devoir de citoyen. Ces prêtres et séminaristes ont accepté le dépouillement et le sacrifice. Porteurs d’espérance dans les tranchées, ils ont pour la plupart frappé leurs camarades par leur sens du devoir, leur foi inébranlable et leur abnégation.

« C’est pour Dieu, pour la France et les âmes que ces prêtres et séminaristes soldats ont bravement affronté tous les périls sans reculer devant l’effusion de sang […] Quelque incompatibilité qu’il puisse y avoir, entre le maniement des armes et l’état sacerdotal qu’ils avaient embrassé ou auquel ils aspiraient, ils n’ont jamais perdu de vue, sous la livrée militaire, leur sublime idéal, et c’est pour cela qu’ils ont été si beaux et si grands. »2
Mgr Maurin, archevêque de Lyon (1916-1936).

Cette double identité s’illustre nettement dans ces quelques phrases du séminariste Jean Ducros3, qui écrivait à sa famille, en avril 1918 :

« Si jamais je suis de ceux qui jalonnent de leurs cadavres le chemin de la victoire, ne me pleurez pas, ce sera pour Dieu et la France que j’aurai donné ma vie. Soyez sûrs que la mort ne me fait pas peur et que je la regarde en face. […] Que vous dire encore sinon que je vous embrasse tous, et aujourd’hui ce n’est pas seulement votre fils et frère qui le fait, mais le séminariste et le soldat fier de défendre sa patrie. »4 

Blessé grièvement à la tête, Jean Ducros agonisa pendant trois semaines.

Souvent ce fut leur dévouement sacerdotal qui les conduisit à la mort, comme le père Étienne Séon5. Se rendant compte qu’il y avait des blessés entre deux tranchées, et contre l’avis de son supérieur, il décida de ramper jusqu’à ces derniers, afin de leur donner l’absolution. En rentrant vers sa tranchée, il fut tué par une balle ennemie.

Cas identique pour le père Joseph Belmont6, comme le montre la lettre de son colonel, annonçant son décès :

« J’ai à vous annoncer une très douloureuse nouvelle, la mort de l’abbé Belmont, aumônier d’un bataillon du régiment, tué le 5 mai, alors qu’en première ligne il se portait de trou d’obus en trou d’obus pour soigner et réconforter les blessés. Sa conduite a été admirable au cours des derniers combats. »7.

Ce même prêtre, Joseph Belmont, soulignait, dans sa dernière lettre, datée du 4 mai 1917, un contraste saisissant entre le renouveau estival et le bruit assourdissant des obus :

« La nature se transforme à vue d’œil et les bois prennent d’un seul coup leur aspect d’été. Il y a des moments où l’on se prend à aimer terriblement la vie, à cette saison de renouveau général, et on a peine à se figurer que cette musique des obus peut donner la mort. »8.

Le père Jean-Claude Épalle9 a lui aussi fait preuve d’un grand dévouement sacerdotal, dans des conditions difficiles et périlleuses, même si à ses yeux, cela n’était pas suffisant, comme il l’écrivait à ses proches le 24 août 1918 :

« Tout ce que je peux dire, c’est que j’assiste à des choses terribles. Le travail ne m’a pas manqué. Hélas ! Pauvres soldats ! J’ai pu donner quelques absolutions. Je suis convaincu que le bon Dieu reçoit dans son ciel tous ces braves cœurs. »10

Six jours plus tard, il fut mortellement blessé au thorax par un éclat d’obus.

Le père Henri Gonnet11 éprouva également ce sentiment de ne pas assez se donner :

« Je vous écris avant de partir pour l’attaque. C’est le moment où l’on s’interroge, où l’on se demande : es-tu prêt ? […] L’essentiel c’est d’y rester prêtre, pleinement, magnifiquement, l’homme qui jette par les fenêtres tout ce qu’il a, tout ce qu’il est, parce qu’il est riche du bien inépuisable de Dieu… Je n’ai peur que d’une chose, c’est de n’être pas assez prêtre, de reculer quand il faudra me quitter. »12

En 1918, il prend le commandement de sa compagnie, mais c’est toujours avec émotion qu’il voit mourir ses hommes :

« Je suis sorti de la fournaise, mais tant d’autres y sont restés. Que la vie est douloureuse ! Pauvre bataillon si généreux, si ardent ! Pauvres chasseurs partis le sourire aux lèvres ! […] Je ne puis rien vous dire, sinon que j’ai souvent pleuré. […] C’est inoubliable. »13

Il fut tué le 18 juillet 1918, en portant ses troupes en avant. Chevalier de la Légion d’honneur à titre posthume, comme le rapporte le Journal Officiel du 29 juin 1919 :

« Vaillant officier ; le 18 juillet 1918, à Monnes, son commandant de compagnie ayant été blessé, a pris le commandement de l’unité et a fait l’admiration de tous par sa bravoure et son audace. Arrêté par des mitrailleuses, s’est porté en avant de sa ligne, encourageant ses hommes et leur donnant l’exemple de l’intrépidité, du mépris du danger et de l’abnégation. »14

Le comportement fraternel de ces religieux est la source de petites joies quotidiennes, comme le rapporte les camarades du séminariste Joseph Fustier15. Ce dernier n’hésitait pas à se lever plus tôt pour leur préparer le café. Au mois de septembre 1914, il fut grièvement blessé, Mgr Lavallée rapporte ses propos :

« Les hommes voulaient l’emporter. Il leur dit  “Non, vous êtes mariés ; partez, je continuerai à tirer pour protéger votre retraite ; et puis là-haut, je prierai pour vous.” »16

Leur foi est un rempart face à l’horreur du conflit et à la peur qui anime tout individu face à sa mort certaine, c’est ce que nous montre les lettres de Joseph Meunier17 :

« Quelle joie de pouvoir un moment s’isoler dans un coin de l’église du village ! Quel bonheur de pouvoir y communier ! On peut repartir au feu, le cœur gai et plein de courage […] Peut-on alors craindre la mort ? Celui qui a Dieu dans son cœur ne capitule jamais. »18

Il disparut le 30 mai 1918 à Hourges, des suites de blessures, reçues deux jours auparavant.

Certains de ces prêtres nous ont laissé en héritage quelques mots touchants et si simples, témoignages d’amour de fils envers leur mère. Comme le père Nizier Bioletti19 :

« Je vous embrasse de tout mon cœur ; je sais que les mamans ont besoin de plus de courage que leurs fils, car il est plus facile de s’exposer soi-même que de savoir ceux que l’on aime au danger. Mais je prierai la Sainte Vierge de vous aider à porter votre fardeau et encore une fois il nous faut montrer notre confiance. »20

Ces paroles filiales rappellent le douloureux sacrifice familial. Le 31 juillet 1916, alors qu’il était dans un poste de secours avec une quarantaine de soldats, pour la plupart blessés, le père Bioletti fut tué par une explosion. La violence du choc fut telle qu’aucun corps ne put être identifié. Cette mort lui valut une citation, le 17 août 1916 (citation rapportée dans le J.O. 17 septembre 1922 avec sa médaille militaire) :

« Le 17 juillet 1916 s’est spontanément offert pour aller en plein jour, en terrain découvert, et sous le feu ennemi, secourir des blessés restés entre les deux lignes, est parvenu à les transporter au poste de secours. Toujours volontaire pour les plus périlleuses missions. Modèle de dévouement et de courage. Est venu au front sur sa demande. »21

Par leur formation, ces prêtres puisent dans la Bible et les fêtes religieuses pour trouver du sens à leur quotidien meurtrier, dont ils semblent bien souvent dépassés. À l’image du père Gaston Millon22, qui le jour de sa mort, le 22 avril 1916, alors Samedi Saint, écrivait dans son journal :

« Jésus au tombeau, mort ; moi dans mon abri-tombeau, pouvant mourir à tout instant […] Quelle vie, si je n’avais pas foi en vous, ô mon Dieu ! Justement un obus vient de tomber à quelques mètres : bougie éteinte. Un soldat tué à côté. Ô mon Dieu, recevez son âme. […] Je suis ici encore prêtre : je dois autour de moi donner l’exemple de la vaillance. Quelle joie de se rappeler son ordination en cette semaine : Jeudi Saint, fête du sacerdoce ; Vendredi Saint, fête du sacrifice ; Samedi Saint, fête du recueillement devant la mort. Et puis, Pâques, résurrection glorieuse. »23

Son journal se termine sur ces phrases, il fut tué par un obus.

Dans l’horreur de la guerre et la monotonie quotidienne, un simple geste pouvait devenir un acte religieux, comme le souligne l’aumônier Pierre Marie Patissier24 à un de ses confrères de la cure de Saint-Jean, dans une lettre du 18 mars 1916 :

« Je viens de passer un traité avec le bon Dieu. Toutes les fois qu’une marmite me force à faire la génuflexion ou plus souvent la prostration, je le prie de considérer mon geste comme un acte d’adoration, et de fait, mentalement, ma pensée s’élève jusqu’à Lui. […] Et si jamais une de ces marmites devait me frapper, je mourrais dans un acte d’adoration. J’espère bien que dans ce cas le bon Dieu me permettra de le continuer immédiatement dans le ciel. »25

Cette présence du religieux et de Dieu est aussi mise en avant dans les lettres du séminariste Joseph Vitte26, comme dans celle de janvier 1916 :

« On oublie trop que Dieu est tout proche, qu’il est avec nous, qu’il est notre Père et que nous vivons comme sur ses genoux, de sa tendresse et dans sa tendresse. On oublie trop que même des soldats en guerre ont dans leur journée des moments très propices à la réflexion, à la méditation comme à l’apostolat ; que Dieu parle partout, au cantonnement, à la tranchée, sur les routes interminables […] ne serait-ce que par la beauté de la neige sur les sapins, la splendeur douce des crépuscules. »27

Pour eux, pour leurs camarades, morts pour la France, ne les oublions pas.

Par Sarah Chaplain-Rey-Robert.
Un grand merci au service des archives du diocèse.


Écoutez ces témoignages, enregistrés par les séminaristes du diocèse de Lyon d’aujourd’hui

 


(1) Livre d’or du clergé diocésain, préface, p. v
(2) Livre d’or du clergé diocésain, préface, p. v
(3) Jean Ducros (1895 – 1918), élève au séminaire de Francheville, sergent au 22e régiment d’infanterie ; croix de guerre avec étoile de bronze (J.O. 25/05/1921) [acte de décès très précis]
(4) Id. p. 307-308
(5) Étienne  Séon (1884 – 1915), vicaire à Notre-Dame de Saint-Étienne, caporal au 3e bataillon de chasseurs. [acte de décès] p. 210
(6) Joseph-Henri Belmont (1885 – 1917), prêtre en 1909, vicaire à Notre-Dame-de-Bellecombe à Lyon, sergent brancardier au 329e régiment d’infanterie ; deux citations militaires, dont une du 26 mars 1917 : « N’a pas hésité, au cours de l’attaque du 25 mars 1917, à se porter en terrain découvert, au secours des blessés, auxquels il a donné les premiers soins, faisant ainsi preuve du plus admirable dévouement. » (J.O. 25/05/21) [acte de décès] p.30
(7) Id. p. 30-33
(8) Id. p. 30-33
(9) Jean Claude Marie Épalle (1881 – 1918), ordonné en 1906, vicaire à Saint-Joseph de la Demi-Lune, combattant au 359e régiment d’infanterie. [acte de décès, mention des circonstances] p.105
(10) Id. p. 105-108
(11) Henri Louis Vincent Gonnet (1889 – 1918, ordonné prêtre en 1915 pendant sa première convalescence, lieutenant au 14e bataillon de chasseurs ; cité à 3 reprises (15 juin 1915, 12 septembre 1915 et le 25 août 1918), croix de guerre Italie 1917. [acte de décès] p. 134
(12) Id. p. 134-143
(13) Id. p. 134-143
(14) La preuve par le sang, p. 908
(15) Joseph Marie Fustier (1887 – 1914), diacre, caporal au 86e régiment d’infanterie; une citation, médaille militaire posthume (J.O. 5/11/1920) : « Soldat courageux et dévoué, qui s’est fait remarquer par sa belle conduite au feu. Mort glorieusement pour la France, le 16 septembre 1914 à Champenoux. Croix de guerre avec étoile de bronze. ». [acte de décès] p.332
(16) Id. p. xxviii
(17) Joseph Marius Claude Meunier (1895 – 1918), clerc tonsuré, mitrailleur au 413e régiment d’infanterie. [acte de décès qui stipule la date du 28 mai] p. 394
(18) Id. p. 394-396
(19) Nizier Marie Bioletti (1878 – 1916), ordonné en 1903, prêtre de Saint-Sulpice, professeur à San-Francisco, brancardier au 317e régiment d’infanterie. [acte de décès] p. 38
(20) Id. p. 38-41
(21) La preuve par le sang, p. 179
(22) Gaston Pierre Marius Millon (1888 – 1916), ordonné en 1912, professeur à l’école cléricale d’Amplepuis, capitaine au 90e régiment d’infanterie. [acte de décès] p. 159
(23) Id. p. 159-162
(24) Pierre Marie Patissier (1876 – 1917), ordonné en 1900, vicaire à Saint-Jean à Lyon, brigadier-aumônier au 46e régiment d’artillerie. [acte de décès] p. 176
(25) Id. p. 176-182
(26) Joseph Marius François Vitte (1883 – 1916), clerc minoré, brancardier divisionnaire à la 14e section d’infirmiers militaires. [acte de décès] p. 474
(27) Id. p. 474-477