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Échos d’une cérémonie de béatification en contexte musulman

Échos d’une cérémonie de béatification en contexte musulman

Cela n’était pas garanti en cette période de l’année, mais il a fait un temps magnifique, le samedi 8 décembre 2018, sur l’esplanade de la basilique Santa Cruz à Oran pour la cérémonie de béatification des 19 martyrs chrétiens de l’Algérie des années 1990. De ce fait, tous ceux qui ont vécu cet événement unique en sont revenus largement baignés de lumière : lumière des cieux, de la mer et de la terre, lumière de l’évènement en lui-même, lumière d’une Algérie fraternelle, lumière de toutes les rencontres qui ont eu lieu à cette occasion (et aussi dans la préparation), notamment entre chrétiens et musulmans.

Nous étions une importante délégation du diocèse de Lyon (plus de quinze personnes !), conduite par le vicaire général Mission, le père Eric Mouterde : des laïcs, membres en particulier de l’association « Message de Tibhirine », des prêtres, et aussi des représentants de l’islam lyonnais ( Kamel Kabtane, le recteur de la Grande mosquée de Lyon, Azzedine Gaci, recteur de la mosquée Othmane de Villeurbanne, et aussi Abdelkader Bendidi et Kada Kichaoui ). Le nombre des « délégués » lyonnais se justifiait par plusieurs raisons, à commencer par les liens anciens qui n’ont cessé d’exister depuis plus de 150 ans entre l’Eglise de Lyon et l’Eglise de l’Algérie contemporaine. Ainsi, le deuxième évêque d’Algérie, Monseigneur Louis-Antoine Pavy, était lyonnais, comme l’était le premier évêque d’Oran, Monseigneur Jean-Baptiste Callot. La basilique Notre-Dame d’Afrique, sur les hauteurs d’Alger, a été construite sous l’impulsion de deux pieuses Lyonnaises, Marguerite Berger et Anna Cinquin, soucieuses de transporter outre-Méditerranée le culte marial si ancré dans la vie spirituelle de l’ancienne capitale des Gaules. L’une et l’autre sont d’ailleurs inhumées dans le périmètre de ce sanctuaire algérois. Quant au sanctuaire de Santa Cruz qui surplombe Oran, il fut lui aussi construit en référence à la basilique de Fourvière, et la statue de la Vierge qui le domine a été fondue dans le même moule que celui de la statue de la Vierge dorée installée sur la sainte colline lyonnaise depuis 1852. L’évêque actuel d’Oran, Monseigneur Jean-Paul Vesco, est originaire de Lyon, comme est lyonnais l’archevêque émérite d’Alger, Monseigneur Henri Teissier ( presque 90 ans ), qui a été à l’origine du procès en béatification des « 19 ». Et plusieurs des nouveaux bienheureux avaient un lien avec Lyon.

Cette béatification rapide (une procédure qui aura duré moins d’un quart de siècle !), en tant que martyrs de la foi, de Monseigneur Pierre Claverie et de ses dix-huit compagnons et compagnes, illustre bien « la sainteté de la porte d’à côté » si chère au cœur du pape François. Ces hommes et ces femmes, en effet, n’étaient pas des personnages « hors norme » ; ils avaient leurs faiblesses et leurs défauts comme chacun d’entre nous. Leur choix de demeurer en Algérie aux côtés de leurs amis algériens, durant la période terrible de la violence islamiste (quelque 200 000 morts en dix ans ! ), n’a pas été non plus exceptionnel : quelque 160 autres évêques, prêtres, religieux, religieuses l’ont fait en même temps qu’eux, et si les uns sont morts et « les autres laissés » (comme le frère Jean-Pierre, de Tibhirine, maintenant 94 ans, qui a pu vivre l’évènement de la béatification ), cela n’a pas relevé de leur décision. En réalité, ils ont participé d’une sainteté à la fois personnelle – l’amitié singulière de chacun (e) avec Dieu – et collective : celle de toute la petite Église d’Algérie qui a su se faire l’humble servante de tout un peuple majoritairement musulman. Et si l’on ne peut que se réjouir de la décision de béatification manifestement désirée avec enthousiasme par les trois papes qui se sont succédé ces trente dernières années (Jean-Paul II, Benoît XVI et François ), on ne peut également que s’émerveiller de l’acceptation, par les autorités politiques algériennes, que cette cérémonie se déroule sur le sol algérien. Une première dans un pays musulman, qui met en lumière une Algérie fraternelle, capable de reconnaissance à l’égard de l’Eglise d’Algérie.

Notre délégation lyonnaise, pour la majorité de ses membres, a pu vivre pendant cinq jours toute une « itinérance spirituelle » dont le point d’orgue a été la cérémonie de béatification dans l’espace de Santa Cruz. Arrivés par Alger, nous avons eu la possibilité de nous recueillir à la basilique Notre-Dame d’Afrique, au cœur de laquelle trône l’inscription : « Notre-Dame d’Afrique, priez pour nous et pour les musulmans ». C’est là qu’ont eu lieu les célébrations de funérailles de la majorité des 19 martyrs, là que se trouve la tombe du cardinal Léon-Etienne Duval mort quelques jours après l’annonce de l’exécution des moines de Tibhirine. Grâce à la sollicitude de l’archevêque, Monseigneur Paul Desfarges, et à celle de plusieurs prêtres ( en particulier le père Raphaël ), religieuses et religieux d’Alger, nous avons pu pérégriner en divers lieux où avaient oeuvré plusieurs des nouveaux béatifiés : maison des sœurs augustiniennes, bibliothèque Ben Cheneb, et enfin prier sur les tombes de cinq des martyrs et de quelques autres évêques, prêtres, religieuses et religieux d’Algérie au cimetière de Belfort dans
le quartier d’El Harrach. Nous nous sommes également arrêtés, reçus très fraternellement, au mausolée de Sidi Abderrahmane, le saint musulman protecteur d’Alger (un mystique soufi du XIVème siècle ).

A Oran, le vendredi 7 décembre, nous avons vécu un autre événement inattendu et marquant : celui d’être accueillis, nous petit troupeau de chrétiens européens, au sein d’une assemblée de quelque 3 000 musulmans, à l’heure de la prière de midi, à l’occasion de l’inauguration d’une nouvelle mosquée émir Abd el-Kader. Les priants furent surpris par notre présence ; elle était de nature à choquer plusieurs d’entre eux, mais quand l’imam-prédicateur, le cheikh Bahri, nous a réunis autour de lui à la fin de l’office, nombreux furent ceux qui sont venus se faire photographier à nos côtés. Oran la tolérante manifestait sa différence ! Le soir de ce même vendredi, à la veillée de prière organisée à la cathédrale Sainte-Marie du quartier El Maqarri, là où est inhumé Monseigneur Pierre Claverie, les disciples de la confrérie soufie alawiyya étaient activement présents autour du cheikh Khaled Bentounes. Le lendemain matin, avant la cérémonie de béatification, un hommage à tous les morts de la terrible décennie –  notamment aux 114 imams tués – a été rendu à la grande mosquée d’Oran, l’envoyé du pape, le cardinal Angelo Becciu, plusieurs évêques et plusieurs prêtres se recueillant aux côtés des autorités politiques et religieuses du pays ( en particulier le ministre des affaires religieuses, Monsieur Mohamed Aïssa, qui a joué un rôle déterminant ). Un message fort à l’adresse du monde entier !

Pendant cinq jours, nous avons ainsi posé nos pas dans ceux des 19 nouveaux bienheureux et dans ceux de la petite Eglise d’Algérie, nous mettant à l’école de cette dernière. En France aussi l’Eglise devient minoritaire, et la manière d’être de l’Eglise d’Algérie peut certainement être pour nous une source d’inspiration.

Père Christian Delorme,
délégué épiscopal pour les relations interreligieuses

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