Publié le 30 avril 2020
Quelques fidèles catholiques m’ont adressé un message me disant leur désolation teintée je crois d’amertume voire d’un mouvement à peine réprimé de colère devant le déconfinement asymétrique décidé par l’autorité gouvernementale à compter du 11 mai prochain. Cette asymétrie joue notamment en défaveur de la libre célébration de la messe par la communauté chrétienne rassemblée, ce qui touche au cœur de la vie chrétienne.
Ces fidèles appellent l’autorité épiscopale dans l’exercice de sa responsabilité pastorale à sortir de sa molle torpeur et à négocier avec force un élargissement de ces dispositions peu équitables.
Me voilà donc appelé tel Moïse -disons plutôt et plus modestement Aaron- à rencontrer Pharaon pour qu’il laisse aller le peuple élu sortir pour rendre un culte à Dieu dans le désert. Me souvenant que Moïse, dument aidé cependant par Aaron, connut maintes difficultés pour obtenir de Pharaon l’autorisation demandée et qu’il n’y parvint qu’après que l’action puissante de Dieu se fut manifestée à travers les sept plaies qui s’abattirent sur l’Egypte, il m’a semblé prudent et pastoral de proposer à mes correspondants un petit vade-mecum pour tenir jusqu’au moment de cette juste délivrance.
Voici donc trois propositions à cet égard :
I- L’intelligence de l’Ecriture dispose le cœur du croyant à reconnaître le Christ dans la fraction du pain c’est-à-dire dans l’eucharistie. C’est ce que nous enseigne l’évangile des disciples d’Emmaüs (Luc 24, évangile du 3èmedimanche de Pâques). Pour retrouver avec plus de fruit la communion eucharistique dès qu’elle nous sera rendue, plongeons-nous dans la méditation de la Parole de Dieu en y discernant le visage du Christ dans chacune de ses pages. Communions aujourd’hui à la table de la Parole pour mieux communier demain à celle de l’Eucharistie. « Goûtez et voyez comme le Seigneur est bon » : ce verset du Ps. 33 se dit autant de l’une que de l’autre des deux « tables » ; c’est à la table de la Parole, cependant, que les disciples d’Emmaüs firent cette expérience inoubliable d’avoir eu « le cœur tout brûlant ». Souhaitons y parvenir…
II- Si nous demandons que ce dispositif légal soit amendé et corrigé, c’est que nous ne souhaitons pas transgresser la loi civile, dans l’état actuel des choses du moins. Mais observer la loi ne dit pas d’aller au-delà de ce qui est prescrit : toute la loi mais rien que la loi en l’occurrence. La loi ne dit pas qu’il faut fermer les églises mais seulement de ne pas y tenir des assemblées publiques. Venons donc prier et visiter le Saint-Sacrement dans les églises qui sont ouvertes (dans les conditions de sécurité sanitaires prescrites). Je vois tout près de mon domicile une chapelle bien renommée où le Saint-Sacrement est exposé chaque jour de 8h du matin à 19h le soir, confinement ou pas : Jésus hostie présent pour nous ! Croyez vous que nous y soyons 20 personnes en permanence ? Que nenni, 2 ou 3 ; 5 ou 10 au mieux. Nous demandons l’eucharistie et nous boudons l’eucharistie : bizarre !
III- Une femme, une étrangère, une syro-phénicienne, nous dit saint Marc (cf Mc 7, 24-30), vint supplier Jésus pour sa fille possédée par un esprit mauvais. Que fait Jésus ? – l’accueillir bien sûr ! Eh bien non ! Elle insiste ; Jésus de même : « Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants pour le jeter aux petits chiens ». Bonjour l’élégante répartie ! Que va faire la femme ? – revendiquer ses droits, le caractère urgent et grave de sa demande, qu’on lui donne raison enfin ! Beaucoup plus judicieuse, la femme… au point de provoquer l’admiration du Christ ! Elle réplique : donne-moi seulement les miettes cela me suffit. Je vois dans cette scène évangélique l’acte fondateur d’une spiritualité très féconde qu’on pourrait dénommer : « Spiritualité des miettes ». De quoi s’agit-il : de discerner les miettes qui tombent de la table d’en être heureux et d’en vivre – tout le reste vous sera donné par surcroit. Si nous avons le pain savourons-le ; si il n’y a que les miettes, rendons grâce pour les miettes et le Seigneur nous dira comme à la femme : « Qu’il t’arrive selon ta foi ».
Au début du confinement, devant la sidération de beaucoup de chrétiens réalisant qu’ils ne pourraient pas communier pour Pâques -pas même pour Pâques- du jamais vu, je m’étais souvenu d’une remarque de Marthe Robin sur communion et oraison. Ce n’était pas une réponse à l’interrogation douloureuse de ces fidèles, peut être une suggestion en tous les cas une invitation. Je joins donc en conclusion ce petit texte de Marthe et la présentation que j’en fis alors.
Vôtre in Christo
Mgr Patrick Le Gal, apprenti Aaron, pour vous servir
Mercredi 29 avril 2020
Plus de messes publiques, plus de communion sacramentelle pour la plupart des fidèles : une aubaine songeront certains, grande misère penseront la plupart. D’autres encore y verront une occasion de mieux mesurer ce don inestimable que nous a laissé le Seigneur.
Dans cette situation d’épreuve bien des personnes – prêtres ou fidèles laïcs- ingénieuses et dévouées ont cherché des idées pour pallier cette impossibilité de se réunir autour de la table eucharistique en raison des risques de contagion : valeureuses suggestions via les moyens actuels de communication sociale ou simples gadgets d’un moment. Rien de définitivement consolatif cependant.
M’est alors revenu en mémoire une réflexion de Marthe Robin lue il y a bien des années dans son journal en date du 4 avril 1930 [1]. Marthe réfléchissait sur le caractère essentiel de l’oraison dans la vie du chrétien, essentiel notamment pour vivre avec fruit les sacrements et particulièrement la communion eucharistique. Elle écrivait :
Si l’on me demandait : que vaut-il mieux faire : l’oraison ou la sainte communion ? Les deux sont vivement à conseiller. Mais s’il faut porter une préférence, je crois que je répondrais l’oraison, car l’oraison est une disposition et une préparation immédiate à la sainte communion. La communion fréquente est un conseil, l’oraison est un divin précepte : « Priez, priez sans cesse », dit Jésus. Or il est difficile de bien prier et de prier sans cesse si le cœur ne se remplit pas de bonnes, de saintes pensées, fruits de la méditation… Quelqu’un a dit : on trouve des chrétiens qui communient tous les jours et qui sont en état de péché mortel. Mais on ne trouve jamais une âme qui fasse « oraison » tous les jours et qui demeure dans le péché.
C’est dit avec les mots de Marthe et la sensibilité spirituelle de son temps, mais la pensée est nette et nourrie de réminiscences évangéliques [2] ou pauliniennes [3] qui lui donnent sa force. Marthe, évidemment, ne pensait pas au contexte que nous connaissons avec la pandémie en cours qui contraint la population à se reclure strictement. Son propos est autre mais il peut nous offrir -à le bien méditer- une piste heureuse de conversion.
Pour Marthe, selon la pensée de Thérèse d’Avila qu’elle connaît et cite volontiers, « l’oraison est un intime commerce d’amitié où l’on s’entretient souvent seul à seul avec ce Dieu dont on se sait aimé » [4]. Si nous désirons entrer dans ce doux « commerce d’amitié » avec le Christ-Jésus qui trouve assurément son sommet ici-bas dans la communion eucharistique, comment négligerions-nous de faire oraison ? Bien sûr il y a misère à ne pouvoir communier sacramentellement et à être privés de la célébration de la messe avec toute la communauté réunie, cependant, l’oraison nous offre déjà quelque peu cette communion avec le Christ à travers les liens de cet « intime commerce d’amitié ».
Comprenons bien, la réflexion de Marthe ne nous conduit pas, dans la détresse présente, à une médiocre consolation ; elle nous invite à une vive conversion : ne rien négliger de ce qu’il nous est loisible de vivre aujourd’hui, pour être capable de donner sens et pleine fécondité spirituelle à ce que nous pourrons à nouveau vivre demain quand l’épidémie cessera. Aujourd’hui, demain et toujours l’oraison, intime commerce d’amitié qui est déjà comme un avant-goût de la communion au Corps et du Sang du Seigneur.
Mgr Patrick Le Gal
Mars 2020
[1] Le journal de Marthe Robin est disponible en librairie et également sur internet avec index et références.
[2] Cf. Luc 18, 1 & 21, 36 : « Restez éveillés et priez sans cesse… »
[3] Sur la prière sans cesse, cf. 1Th 5,16 : « Soyez toujours dans la joie et priez sans cesse… » et sur l’eucharistie, cf. 1 Co 11, 29.
[4] Cf Thérèse d’Avila, vie par elle-même, chap. VIII. Marthe connaissait la pensée de la grande Thérèse tout comme celle de Thérèse de Lisieux qu’elle cite également dans son journal.