Article extrait du magazine Eglise à Lyon, septembre 2024.
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En cette rentrée pastorale, Mgr Loïc Lagadec, évêque auxiliaire de Lyon et vicaire général Territoires et le père Matthieu Thouvenot, vicaire général modérateur de la curie, font un point d’étape de leurs missions respectives.
L’occasion de faire le lien entre la nouvelle forme de présence des prêtres et des fidèles qui se dessine peu à peu au sein des territoires de notre diocèse et la nécessaire transformation missionnaire qui se dote d’outils pour favoriser l’ancrage de fraternités missionnaires au sein de chaque clocher.
Monseigneur Lagadec, voilà plus d’un an que vous avez été nommé évêque auxiliaire de Lyon, quel regard portez-vous sur ce diocèse ?
Un regard d’émerveillement devant la vitalité de l’Église de Lyon. Bien sûr, cette vitalité est liée notamment à la présence d’une grande population qui permet d’avoir des talents nombreux et variés. Je me dis aussi que les chrétiens de Lyon, habitués depuis des siècles à ce dynamisme, ne se rendent pas toujours compte de cette vitalité et de cette richesse, qui sont une chance pour l’Église en France. C’est vraiment très beau d’en être témoin et de la servir.
Qu’est-ce qui vous a surpris en arrivant à Lyon ?
La variété des styles ecclésiaux ! Je trouve cela réjouissant parce qu’on y découvre différentes manières de vivre l’Évangile, qui sont nécessaires et complémentaires. Et j’ai aussi découvert que le diocèse de Lyon ne se limitait pas à l’agglomération mais qu’il comprenait une grande partie rurale dans le Beaujolais, les Monts du Lyonnais et le Roannais. Je suis donc évêque de chrétiens urbains, de banlieue, et de milieu rural… C’est une réalité ecclésiale que l’on vit dans peu de diocèses en France.
Père Matthieu Thouvenot, bien que Lyonnais, avez-vous redécouvert ce diocèse après votre nomination comme vicaire général il y a trois ans ?
Il est plus gros que je ne me l’imaginais ! À vrai dire, je ne le connaissais qu’à travers le prisme de mes missions : à Saint-Genis-Laval, à Gerland, au séminaire… Investi au sein de nos communautés locales, on pense assez peu à ce qui se passe ailleurs ou de manière très indirecte. Maintenant, je vois tout l’ensemble !
Une surprise à partager ?
Les résultats d’une consultation lancée dans une vingtaine de paroisses (soit un quart du diocèse) par le service de formation du diocèse qui préparait sa nouvelle offre. À ma grande joie, j’ai découvert que la plupart étaient missionnaires, c’est-à-dire qu’elles avaient initié des démarches concrètes. On ne le sait pas assez, car chaque communauté a tendance à ne pas regarder ce qui se fait à côté d’elle. Mais ces signes sont très encourageants car je suis témoin, – et c’est l’Histoire de l’Église à Lyon -, de nombreuses idées et innovations tentées ici ou là. L’esprit missionnaire souffle sur notre diocèse. C’était vrai dans les siècles passés et c’est encore vrai dans le ciel de Lyon aujourd’hui.
Comment envisagez-vous votre mission de vicaire général ?
D’abord nommé au service des prêtres et des territoires, j’avais en moi l’image d’un berger sur une montagne (l’archevêque), assisté de son border collie (le vicaire général territoires) qui allait voir un peu plus loin si tout se passait bien et qui agissait au besoin pour faire en sorte que le berger conserve une vue d’ensemble sur son troupeau.
Depuis un an et demi, je suis chargé de la curie diocésaine. Mon rôle, à mon avis, c’est de mettre en œuvre la partition écrite par l’archevêque. Et cette partition, c’est sa Lettre pastorale « Cap sur la mission », écrite il y a plus de trois ans déjà, que je tâche de mettre en œuvre aujourd’hui avec des milliers de personnes. Mon objectif est de parvenir à ce résultat avec l’aide de toutes les équipes de la curie.
Et vous, Monseigneur, quelle est votre mission dans le diocèse ?
Pour ma part, l’archevêque m’a demandé d’accompagner les personnes engagées fortement dans la mission que sont les prêtres, les diacres et les laïcs qui travaillent dans les paroisses. Avec Matthieu à la Curie, je soutiens les paroisses dans leur transformation missionnaire. Enfin, l’archevêque m’a demandé de superviser la problématique des abus et de leur prévention.
Comment l’accomplir avec ceux qui vous sont confiés ?
Ce qui me préoccupe fortement comme prêtre et comme évêque, c’est essayer de faire ce que Jésus fait avec ses disciples:Il essaie de les rendre capables de faire comme Lui. Par le passé comme curé, j’ai essayé d’aider les chrétiens qui m’étaient confiés à vivre leur foi aussi fortement, aussi radicalement que possible, pour qu’ils soient capables d’accomplir les œuvres de Dieu dans leur vie quotidienne, en rayonnant d’amour et d’espérance autour d’eux. Comme évêque auxiliaire, j’essaie d’aider ceux qu’on appelle parfois les “agents pastoraux” à “réussir” c’est à dire, pour les laïcs à être des « christos », des petits christs, pour les diacres à servir comme le Christ, et pour les prêtres à devenir des pasteurs à la manière du Christ.
Père Matthieu Thouvenot, on ne peut plus mettre un prêtre en face de chaque communauté. Face à cette évolution, comment le diocèse s’organise-t-il pour ne pas abandonner des pans de territoires que le regroupement des communautés occasionne ?
Nous n’abandonnons pas des territoires. Nous ne sommes effectivement plus dans une logique de regroupement des communautés, mais de maintenir et favoriser la présence de fraternités visibles et missionnaires dans les villages. Là où une fraternité se met en place, l’Église reste présente. Les prêtres peuvent ensuite rayonner au sein de ces différentes fraternités pour les accompagner. La permanence chrétienne dans nos villages ne dépend ainsi plus de la seule présence du prêtre.
Mgr Loïc Lagadec : En premier lieu, je dirais que être une communauté, c’est être constitués Frères et Sœurs, du Christ et des autres baptisés : cela est structurant de l’expérience de la foi chrétienne. On est croyant avec les autres disciples. Et même si on disait en commençant que nous étions nombreux dans le diocèse de Lyon, la population des chrétiens en France diminue. C’est visible dans le monde rural, bien sûr, mais en ville aussi ! Nous devons alors tenir à la fois la nécessité de se regrouper pour être en communauté, mais aussi le mouvement inverse, qui consiste à réapprendre à être Église dans une proximité, mais autrement Mon hypothèse, c’est que ce n’est pas d’abord la messe qui fait que l’Église est proche, mais que la mission de chaque baptisé de se faire proche selon ce que la parabole de Jésus indique (Luc10,25-37). la Cette proximité, nous pouvons la vivre dans l’échange de la Parole, dans la rencontre, dans l’humble service mais aussi dans le silence de la prière et parfois aussi dans l’annonce du kerygme : “Sais-tu que tu es aimé infiniment ?”. Alors, la mission des prêtres sera toujours à la fois de servir la communion des disciples notamment dans le rassemblement eucharistique dominicale et à la fois de soutenir une multitude de fraternités de toutes sortes.
Donc concrètement, comment déployer ces intuitions au sein du diocèse ?
C’est un gros enjeu, partout en France comme dans notre diocèse. C’est pourquoi par différentes actions et par la réorganisation de la présence des prêtres et des laïcs dans les territoires, nous cherchons à développer ces petites fraternités de foi au sein de chaque village ou quartierfraternités de partage, de prière, de lecture de la Parole de Dieu, d’intercession, de mission, de service, de soutien et de mission… Ces petits groupes locaux font l’expérience des premiers chrétiens en vivant une fraternité de foi concrète, et ils se rassemblent avec les autres le dimanche pour former l’assemblée a dominicale par l’eucharistie. C’est cette aventure-là que nous enclenchons dans notre diocèse. Cela signifie que les prêtres sont peu à peu encouragés et formés à devenir les pasteurs de plusieurs communautés, à la fois parce qu’ils ne sont plus assez nombreux, mais aussi pour favoriser l’ancrage local de ces fraternités, qu’ils visiteront et accompagneront.
Comment doit-on comprendre les équipes de prêtres que l’on voit pousser ici ou là dans le diocèse ?
Cette configuration permet à plusieurs prêtres de partager aussi une vie de fraternité entre eux. Ils peuvent avoir différentes missions dans différentes paroisses, et se retrouver pour prier, partager des repas, et du temps informel, notemment en habitant ensemble. Ce pourrait aussi être une équipe de prêtres qui assument ensemble, avec des laïcs et un diacre et pourquoi pas aussi un couple missionnaire, l’accompagnement de plusieurs paroisses. Nous réfléchissons à plusieurs hypothèses selon les personnes et la réalité des territoires.
Certains prêtres ne résideront plus au sein des communautés qu’ils accompagnent dans cette configuration ?
Cela pourrait en effet être moins exceptionnel qu’auparavant.
Comment au niveau du diocèse, aider les communautés plus fragiles alors que dans le même temps, d’autres se suffisent à elles-mêmes ?
Nous nous apprêtons à tester le parrainage de communautés plus faibles par des communautés plus structurées. Le salut scout me fait penser à cela. ‘Le fort protège le faible’ (le pouce sur l’auriculaire, ndlr). Les communautés relativement riches en nombre, en capacités, en compétences vont être encouragées à aider des communautés plus fragiles, en nombre ou en prêtres. Une première expérience débute dans le Roannais avec le père Vincent Charmet, résidant à Belleville-en-Beaujolais au sein d’une équipe de prêtres, qui se rendra à Monsols trois jours par mois, aux confins nord de notre diocèse. Parallèlement, des laïcs résidant à Villefranche se forment actuellement pour aller soutenir la communauté de chrétiens de Monsols. Cette expérimentation doit permettre de soutenir la vitalité de fraternités locales.
Ces décisions sont peu connues… Comment alors rendre tous les fidèles conscients de ces évolutions ?
Mgr Loïc Lagadec : Toute la complexité, c’est que l’on ne compte pas dérouler un grand plan qui s’appliquerait en tous lieux. Les décisions sont prises au cas par cas, territoire par territoire, après consultations des prêtres, diacres et laïcs engagés localement. Il ne faut pas attendre un grand plan quinquenal , mais plutôt des décisions travaillées à partir de la configuration réelle, spécifique à chaque territoire. Voilà la direction dans laquelle nous allons actuellement pour adapter la présence des prêtres et favoriser le maintien des fraternités de chrétiens village par village. Dans le bassin roannais, ces nouveaux modes de fonctionnement sont en cours d’élaboration. Les prêtres, diacres, laïcs en mission ecclésiales et membres des équipes d’animation paroissiales de ce territoire planchent sur ce sujet. Avec l’archevêque, nous participons activement à cette réflexion. Le fait que le diocèse de Lyon compte encore près de 140 prêtres en mission (contre 250 il y a 20 ans) ne nous dispense pas d’expérimenter des évolutions dans la présence et la mission des prêtres ainsi que dans les collaborations entre prêtres, diacres et laïcs. Sans doute faut-il peu à peu réfléchir et communiquer ces évolutions et projets plus largement.
Père Matthieu Thouvenot : Oui, il faut reconnaître que les fidèles de centre-ville ne se questionnent pas trop sur ces problématiques pour le moment, mais de telles réflexions seront bientôt initiées dans plusieurs arrondissements de la ville de Lyon. Mais comme le disait le père Lagadec, il ne s’agit pas d’imposer un programme pour les 20 prochaines années mais d’avancer de manière synodale, avec les différents acteurs d’un territoire vers une décision qui prenne en compte toutes les problématiques, qu’elles soient humaines, immobilières, financières, pastorales…
Mgr Loïc Lagadec : Quant aux territoires urbains, la question se pose avec moins d’urgence, parce que la densité de la population compense la diminution du nombre de catholiques. Mais en ville aussi on commence à sentir que certaines paroisses ont besoin de collaborer avec d’autres alors que jusqu’à présent, les paroisses étaient assez autonomes et arrivaient à porter l’ensemble de la mission.
Monseigneur Loïc Lagadec, au-delà de ces aspects organisationnels, dont la connaissance est nécessaire pour en augmenter l’adhésion, quels principes dirigent ces réflexions ?
En premier lieu, comment vivons-nous l’Évangile de telle sorte que, un, l’Évangile nourrisse la foi des fidèles catholiques, et deux, la façon de vivre l’Église permette de faire grandir ceux qui découvrent l’Évangile, à savoir les catéchumènes, dont nous aurons l’occasion de reparler. En troisième lieu, comment devenir une Église missionnaire aussi d’un point de vue structurel. Nous devons répondre à ces trois besoins : des communautés paroissiales nourrissantes pour notre foi, accueillantes pour les catéchumènes et aux convertis, et missionnaires.
Comment faire accepter ces changements qui sont toujours des moments bouleversants pour les communautés ?
Mon impression, c’est que lorsqu’on essaie de tenir un langage vrai et responsable sur notre situation, quand on met des mots sur la situation que l’on traverse ensemble, ce peut être dur, mais cela apaise. Nous aurons moins de forces vives dans les prochaines années. Osons le dire, ce n’est pas grave. Par contre, nous avons tous envie de vivre l’Evangile. Je suis témoin de l’amour du Christ et de notr l’Église des clercs comme des laïcs. Ce désir de foi, d’espérance et de charité est bien là, et vif! N’oublions pas que l’Église, au cours de ses 2000 ans d’histoire, a toujours su s’adapter aux mutations du monde. La conversion, c’est la forme du christianisme. Jésus appelle toujours à la conversion.
Sur quels projets aimeriez-vous voir les chrétiens se mobiliser ?
Sans hésitation, les catéchumènes ! Nous sommes surpris de leur afflux, qui s’annonce encore en croissance selon ce que nous reportent les paroisses. Il y a donc urgence à accueillir ces catéchumènes, à les initier à la foi, à les intégrer à notre communauté, à devenir frères et amis avec eux, à les faire grandir et à leur permettre d’être en capacité de prendre des responsabilités à notre place dans notre Église, pour qu’elle devienne aussi la leur !
Accueillir, initier, intégrer, devenir frères, faire grandir et transférer des responsabilités… Voilà un véritable parcours spirituel proposé aux fidèles…
Oui, c’est un cadeau en fait ! Chaque point que je viens de désigner pour l’intégration des catéchumènes peut être un lieu de conversion pour nous et constituer un véritable chemin spirituel et ecclésial. Je me dis que la transformation pastorale pourrait être vécue ‘juste’ en transformant notre communauté chrétienne, à partir de l’accueil des catéchumènes, pour retrouver notre capacité d’accueil, pour retrouver notre capacité à initier les autres à la foi et à l’expérience chrétienne, pour progresser dans notre capacité à faire grandir des personnes dans la foi, retrouver notre capacité à aider des gens à mûrir et à prendre des responsabilités comme laïcs dans l’Église et à ce qu’il soient bien-sûr missionnaires. Evidemment, au final, cela nécessite d’accepter de transmettre et lâcher un peu de ce que l’on aime particulièrement, pour laisser l’autre bâtir à sa manière.
Mais accueillir les catéchumènes qui frappent à nos portes, c’est encore rester dans nos églises. Un pas supplémentaire n’est-il pas attendu de tout chrétien ?
Effectivement, il faut aussi que l’on vérifie que nous, comme Église, nous offrions une interface avec les non-chrétiens et non-catholiques pour permettre que ceux qui cherchent Dieu rencontrent des témoins. On ne peut pas juste accompagner des catéchumènes qui sont en train de se convertir. Il faut aussi qu’on agisse comme Jésus, qui envoie les disciples deux par deux. Il les appelle et les envoie. Ce mouvement est quasiment simultané et il n’attend pas que la foule vienne à lui. Il envoie aussi des disciples et les apôtres. Cela aussi, c’est un défi à réapprendre pour toutes nos communautés paroissiales.
L’Église échappe peu aux courants et modes de son temps. Y-a-t-il une recette à privilégier ?
Comme je le disais, je trouve la diversité ecclésiale du diocèse de Lyon très belle. Elle permet de mettre en œuvre des styles missionnaires différents. On trouve dans le Nouveau Testament plusieurs types de postures missionnaires. Un des enjeux ecclésiaux selon moi, c’est que chaque fidèle trouve son style missionnaire majeur. Cela doit nous rende audacieux. Pour les diocèses et les paroisses de taille importante en particulier, il me semble important de susciter des postures missionnaires complémentaires, pour être à la fois davantage fidèles à l’Écriture et à la fois plus fécond de ce fait même.
Père Matthieu Thouvenot, quelle est votre priorité pour ces prochaines années ?
La transformation missionnaire. Les grands axes de la vision pastorale que nous a donnée l’archevêque il y a trois ans, c’était de grandir dans la communion entre nous, de se centrer sur le Christ, de favoriser un nouvel élan missionnaire et d’ajuster notre rapport au monde. Parmi ces caps, celui sur lequel nous avons le plus à progresser me semble être celui de la transformation pastorale.
Qu’est-ce que ça veut dire ?
C’est d’abord une étape de conversion. La conversion, c’est la prise de conscience par chacun que l’Église existe pour évangéliser. C’est notre mission commune. Nous devons nous former pour devenir vraiment missionnaires afin que toutes les activités quotidiennes des paroisses deviennent plus évangélisatrices.
Les personnes engagées au sein des paroisses vous répondront qu’elles le font déjà…
Bien sûr, et c’est heureux ! Mais certaines de nos actions et engagements restent dictés par l’habitude et une logique de fonctionnement. La visée principale devrait toujours être de faire plus de disciples. Il ne s’agit pas de changer radicalement tout ce que l’on fait, mais de garder toujours au cœur l’objectif de notre action : pourquoi bien préparer l’animation d’une messe ? Pourquoi bien préparer des fiancés au mariage ? Pourquoi soigner nos rencontres avec les familles qui préparent des funérailles ?
Pourquoi, donc ?
Le but ultime, c’est que ces personnes puissent entendre parler de la foi. Quand on parle de Jésus, c’est aussi rencontrer Jésus. Ce n’est peut-être pas le jour même, mais petit à petit en tout cas, il s’agit d’amorcer des cheminements qui permettront à ces personnes de rencontrer Jésus.
En fait, le but de la mission est de permettre à toutes les personnes qui vous entourent dans votre vie de réfléchir. Je me demande souvent quelle serait ma vie si je ne connaissais pas Jésus ? La réponse me fait peur ! Je suis triste de me dire que beaucoup de gens à Lyon et dans nos campagnes ne connaissent pas Jésus.
Elles ne veulent peut-être pas faire cette rencontre…
Ce n’est pas qu’elles ne veulent pas, c’est que, en fait, elles n’en ont pas entendu parler. Ou alors, on leur en a mal parlé. Ou peut-être encore qu’elles ont été chrétiennes, mais elles ont eu une expérience malheureuse. Nous devons aller à leur rencontre, prier pour et avec elles, témoigner de ce que la connaissance et la présence de Jésus change dans notre vie.
Certains diront que Dieu peut intervenir directement dans la vie des gens…
Evidemment et elles sont nombreuses à en témoigner, mais souvent aussi, Dieu passe par nous. Notre mission, c’est de témoigner de sa foi pour la proposer à d’autres, l’offrir à d’autres, dans l’espérance qu’ils puissent un jour rencontrer Jésus et que leur vie soit changée.
Que recommandez-vous aux communautés locales pour faire grandir leur esprit missionnaire ?
Oser interroger leurs fonctionnements. Que modifier ? Qu’enlever pour éviter l’épuisement des forces ? La transformation pastorale missionnaire débute là ou l’on entre dans un processus de questionnement de nos pratiques habituelles. Il ne s’agit pas de rechercher d’abord l’efficacité. La transformation est d’abord l’œuvre de l’Esprit saint, qu’il nous faut davantage invoquer. C’est Jésus qui va nous éclairer, nous aider à discerner ce que je dois prioriser dans ma paroisse… Encore faut-il le questionner.
Pour bien des catholiques, il est plus aisé d’invoquer Jésus que l’Esprit saint. Comment équilibrer notre relation avec ce Dieu trinitaire ?
Nous savons que c’est l’Esprit-Saint qui ouvre le cœur des gens. C’est pour cela qu’il est bon de l’invoquer en amont de nos actions. De notre côté, nous avons la responsabilité de mettre toutes les chances de notre côté. Bien sûr, dans nos actions, cherchons à être le plus efficace possible tout en restant conscients que la fécondité est du côté de l’Esprit Saint. Tenons les deux. Jésus nous rappelle bien que l’épi pousse tout seul. L’agriculteur peut dormir à ce moment-là. À condition qu’il ait labouré et semé auparavant ! Chacun est dans son rôle : l’agriculteur fait de son mieux, mais la croissance, elle est donnée par Dieu lui-même.
En réponse à la Lettre pastorale de l’archevêque « Cap sur la mission ! », père Matthieu Thouvenot, vous centrez vos actions sur cet objectif. Tout d’abord, quelle vision soutient ce projet ?
Jésus nous donne un seul commandement une fois qu’il est ressuscité : “Allez, faites des disciples”, il en a donné d’autres, mais même celui de l’amour du prochain en fait, est un témoignage qui est donné aux autres. Donc c’est encore pour faire des disciples, pour évangéliser. Le pape Paul VI a repris ça en une forme très courte, sa définition de l’Église : “L’Église existe pour évangéliser”. Je pense qu’en France, on l’a oublié pendant plus de 1000 ans. Parce que l’Église, c’est le paysage habituel de la France jusqu’au siècle dernier et presque encore maintenant, dans la tête de certains. Quand on a l’impression que tout le monde est chrétien, ou a été chrétien, on risque de penser : « ceux qui ne le sont pas, c’est vraiment qu’ils le veulent. Mais bon, c’est leur problème ». En fait, cela ne correspond pas à la situation habituelle de l’Église. Et donc, nous redécouvrons maintenant ce commandement de Jésus qui est “Faites des disciples”. Alors bien sûr, il nous fait peur. L’expression “Faites des disciples !” paraît un peu brutale.
Concrètement, quelle espérance formuler pour les fidèles du diocèse ?
Qu’ils partent à la rencontre ! Quand Jésus envoie ses disciples en mission et leur dit « Allez, et entrez dans la maison. Si vous êtes accueillis, vous y restez ». C’est dans la rencontre que l’on peut donner un témoignage de sa propre foi. Même avant de parler, on commence à témoigner de notre foi en acte, en charité, en rendant service. Et cela, nous pouvons le faire de partout dans notre vie quotidienne. On a tous des voisins, des amis, de la famille à qui on peut rendre service et on peut rendre service en étant chrétien, c’est à dire en ayant Jésus en soi et en priant pour ces personnes. Simplement prier pour des gens et aller les voir en étant chrétiens, eh bien, ça peut déclencher des choses qui permettront que la foi soit annoncée.
C’est facile à dire…
Oui, c’est simple à dire. Ça nous fait peur… Il faut le faire à plusieurs. C’est pour cette raison que l’on souhaite développer et accompagner des fraternités missionnaires partout dans notre diocèse. Voilà le rôle des fraternités : permettre l’annonce de la foi. Ce n’est pas une option dans la vie des chrétiens. Au sein d’une chorale, avec les parents des enfants que l’on catéchise… en fait, c’est tout baptisé qui est missionnaire. Simplement, il peut l’être à travers sa vie quotidienne. Il y a ceux qui vont partir au bout du monde, mais aussi ceux qui vont simplement prendre conscience qu’ils ont des voisins, des amis qui ont peut-être des difficultés particulières, eh bien, si je vais au nom de ma foi, faire du bien à cette personne-là, je suis déjà en train d’amener Jésus à cette personne.
Certes, mais les fruits sont souvent peu visibles, ce qui ne manque pas de décourager, même parmi les plus zélés…
La suite ne nous appartient pas beaucoup, mais si j’ai l’occasion de donner mon témoignage de foi personnelle, je le fais. Cela peut embrayer, peut être aujourd’hui, peut-être dans un an, peu importe. Mais au moins, j’aurai accompli ma part missionnaire. Cet esprit est à intégrer au cœur de toutes nos organisations. C’est vrai à l’échelle des personnes, mais également au sein des groupes et des paroisses.
Comment les services du diocèse, dont vous avez la responsabilité en tant que vicaire génral modérateur de la curie, peuvent-ils accompagner la mise en place de la vision pastorale de l’archevêque que vous mettez en œuvre ?
Nous avons la chance à Lyon d’avoir une curie, des services diocésains, qui sont nombreux et expérimentés. Je pense que nous pouvons encore avancer dans la réception de la vision pastorale de l’archevêque, qui concerne le diocèse à tous les échelons. On se rend compte actuellement du besoin de renforcer certains services comme l’accueil, l’accompagnement des catéchumènes… ce dernier n’est pas effectué en direct à la curie, bien sûr, mais on doit permettre aux paroisses de s’équiper davantage pour accompagner un nombre grandissant de catéchumènes. Les paroisses ont besoin d’un soutien pour former de nouveaux accompagnateurs, trouver des nouvelles manières d’accompagner, etc. On a aussi sans doute un effort à faire du côté de la pastorale des jeunes, qui est beaucoup moins territoriale car les étudiants et les jeunes pros sont assez volatiles géographiquement. Nous voyons donc bien les ajustements nécessaires, tout en tenant compte de nos moyens financiers de plus en plus contraints. Nous devons mieux servir avec des moyens limités. C’est au fond assez similaire à ce que vivent bien des Français.
Au sein de nos paroisses, par où commence-t-on ?
Le changement fait peur, il ne peut être que progressif. L’essentiel pour avancer, me semble-t-il, est de savoir dans quelle direction on veut aller, avoir une vision claire. Il faudrait qu’on arrive à cela dans nos paroisses ; on va le faire petit à petit et en sachant pourquoi on le fait.
Que peut mettre à disposition des paroisses le diocèse pour progresser dans cette transformation pastorale ?
Le service des formations est déjà bien connu au sein de la curie, ses propositions de formation ont été réaménagées pour intégrer davantage cette dimension missionnaire. Les laïcs en mission ecclésiale en cours de formation en bénéficient déjà au sein de ce que l’on appelle la FLaMe. Mais le service des formations est capable aussi de donner des formations thématiques à des équipes au sein des paroisses, notamment pour apprendre à évangéliser là où on est.
À ce dispositif, vous venez d’ajouter une équipe d’accompagnement de la transformation pastorale pour les paroisses, qu’est-ce que c’est ?
Cette équipe propose différents outils, différentes formes d’accompagnement pour qu’une paroisse, là où elle en est, quand elle prend conscience qu’elle a besoin d’avancer dans sa transformation pour être plus missionnaire. Il peut s’agir par exemple d’apprendre comment être mieux accueillante, comment mettre en place un groupe de prière de louange dont on sait que ça peut être une étape d’accueil pour des gens qui ne sont pas du tout chrétiens, mais qui s’intéressent un peu à l’Église. Un public pour qui la messe constituera une marche trop haute parce qu’ils ne vont rien comprendre.
Mais la messe n’est-elle pas évangélisatrice par elle-même et le « sommet et la source de la vie chrétienne » ?
Bien sûr ! La prière de louange peut être une étape, pas une fin en soi. Il est souvent plus facile d’inviter un ami à un temps de louange. Certains pourront s’y sentir plus à l’aise.
Et pour une paroisse débutante ou celle qui ne sait pas par quel chemin débuter cette transformation pastorale ?
Le diocèse peut l’accompagner. Elle peut se dire : “On sait qu’on doit avancer, on ne sait pas quelle direction prendre. On aimerait pouvoir mettre par écrit notre vision pastorale pour la suite”. L’équipe d’accompagnement de la transformation missionnaire peut accompagner cette paroisse.
Il existe depuis deux ans l’équipe Cap Mission… Quel est son rôle ?
L’équipe Cap Mission aide les paroisses à mettre en route localement des fraternités missionnaires paroissiales. On a commencé il y a deux ans et en cette rentrée, nous relançons le dispositif dans le bassin roannais. La formation comprend cinq samedis dans l’année. Comme nous l’évoquions précédemment, le bassin roannais est en avance dans ce processus de transformation missionnaire et déjà, plusieurs fraternités sont actives au sein des villages.
Que peut changer la présence de ses ces fraternités au sein de chaque village ?
La présence visible d’une communauté chrétienne. L’existence d’une paroisse ne se limite pas à la présence d’un curé. Ceux qui se disent : « il n’y a pas de curé qui habite dans mon village, il n’y a plus de paroisse. ” sont dans l’erreur. En réalité, il y a bien un curé quelque part, mais il loge dans un autre village. La paroisse, c’est quelques chrétiens qui se retrouvent, qui prient ensemble, qui partagent la Parole de Dieu, qui vont pouvoir rendre service, mais surtout qui vont évangéliser autour d’eux. Pour moi, l’avenir proche de l’Église, ce n’est pas le nombre de curés ni le lieu d’habitation des curés, c’est la présence dans chaque village d’une petite fraternité missionnaire qui est connue et qui ose aller rencontrer les gens, les inviter et voir ce qui peut être fait pour permettre à ceux qui vivent à côté d’eux d’avancer vers une rencontre avec Jésus.
Lorsque vous évoquez la transformation missionnaire, vous faites souvent le parallèle avec les premiers disciples de Jésus. Pourquoi ?
Quand les disciples ont entendu Jésus leur dire : “Maintenant, allez, de toutes les nations, faites des disciples !”, ils se sont retrouvés un peu démunis… Ils n’étaient pas très nombreux, ils avaient eu la formation donnée par Jésus pendant trois ans, mais à part cela, ils n’avaient pas beaucoup d’équipement. Jésus leur a donné l’Esprit Saint. L’Esprit Saint est donné pour la mission. Quand Jésus donne l’Esprit-Saint à la Pentecôte, il y a des effets, que l’on peut appeler des dons spirituels. Ces dons sont tellement frappants qu’ils permettent à beaucoup de gens de s’approcher de l’Église naissante, ce jour-là et dans les jours qui suivent. Les Actes des apôtres déroulent ces évènements.
Votre rêve, père Matthieu Thouvenot ?
Que dans quelques années, tous les paroissiens soient missionnaires. Cela peut faire peur à beaucoup de gens d’entendre cela. Mais quand on comprend qu’être missionnaire, c’est pouvoir témoigner de sa foi, c’est se préoccuper que les personnes que l’on aime puissent accueillir la foi, rencontrer Jésus dans leur vie, alors je crois que cet esprit missionnaire peut devenir une attitude habituelle.
Père Matthieu Thouvenot : Le jubilé de l’espérance à Rome, proposé par le pape François. On pourra le vivre localement, même s’il y a des pèlerinages qui auront lieu à Rome. En tout cas, à Lyon, nous voulons pouvoir trouver les moyens de donner de l’espérance : l’espérance chrétienne à beaucoup de gens en France qui en manquent parfois terriblement. Des peurs liées à l’environnement, au contexte politique, à cause des questions internationales avec la question de la paix, à cause des questions économiques. Et encore des peurs liées à l’isolement, la santé… En fait, nous avons une mission : donner de l’espérance, donner aux autres nos bonnes raisons d’espérer.
Mgr Loïc Lagadec : Pour être en capacité de savoir ”rendre compte de l’espérance qui est en nous” (1P3,5), il y a un enjeu à retrouver pour soi-même la conscience et la nature de l’espérance chrétienne. Parce que parfois, on peut partager sa foi et la dire de manière trop abstraite, il y a un enjeu à ce que nous (ré)apprenions tous à mettre en mots et en actes ce qui exprime le lien entre ce que vit le Christ, sa mort et sa résurrection et les défis d’aujourd’hui des personnes que nous rencontrons. Pour cela, il faut travailler !
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Article extrait du magazine Eglise à Lyon, septembre 2024.
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