Chaque année, le 20 mars, nous marquerons notre engagement par des actions particulières.
Cette année, l’Amitié Judéo-chrétienne de Lyon a tenu à rendre hommage à des enfants victimes de haine anti-juive – Les enfants d’Izieu et ceux de l’école Ozar-Hatorah de Toulouse – en déposant une gerbe devant la stèle qui se trouve place Carnot à Lyon
Mgr Olivier de Germay, archevêque de Lyon, s’est joint à cette démarche. Le père Christian Delorme le représentait lors de cette commémoration.
Le discours de madame Ruth Ouazana Barer et le discours du père Christian Delorme sont disponibles ci-dessous.
Qu’est-ce qui rend un homme responsable ?
L’apprentissage de l’altérité, l’apprentissage de la frustration, la réalisation que nous ne sommes pas tout puissants, que notre liberté s’arrête là où commence celle d’autrui.
Le respect de l’autre dans sa différence, dans sa diversité.
Le juif, de tout temps, a constitué cet autre, ce différent.
Cet « athée » du monde romain, car les juifs n’avaient qu’un Dieu, qui n’était même pas visible.
Ce juif différent du chrétien.
Ce juif différent du musulman.
Ce juif qui n’avait plus de terre, ce juif errant. Cette minorité sur terre, minorité dans chaque pays où il s’installait.
Puis qui acquiert de nouveau une terre. Celle qui lui a été promise des millénaires avant.
Terre qui, après lui avoir été accordée, lui est reprochée par les Nations Unies. Le juif du village, le juif du seigneur, le juif du monde.
Chaque fois la question est la même : comment traites-tu ton autre ? ton différent ?
Le traites-tu comme ton égal ou comme quelqu’un qu’on ne comprend pas et dont on a peur ? Qu’on va discriminer ?
Port de la rouelle, statut de dhimmi, interdiction de tel ou tel métier, vivre dans des ghettos, vivre dans des mellahs. Et finir par tuer celui qui est différent de nous, juste pour sa différence, sans réelle raison objective.
Ou peut-être au contraire parce qu’il renvoie cette image suivante : que fait-on de notre responsabilité ?
Si nous sommes responsables d’une terre, d’un groupe d’hommes, comment traite-t-on les minorités ? Dites-le moi et je vous dirai qui vous êtes.
Le 3e Reich, la Shoah, Hitler, Barbie…les enfants d’Izieu, autour desquels nous nous réunissons aujourd’hui.
Ces enfants qui n’avaient d’autres qualités que d’être nés juifs, et de mourir pour cette simple raison. Pour exister, pour rire et jouer. Pour apporter en eux-mêmes la différence qui doit rendre responsable de son prochain.
L’antisémitisme islamique radical, un homme fanatisé, qui va tuer des hommes qui selon lui n’auraient pas dû être soldats français, Imad Ibn Ziaten, Mohamed Legouad, Abel Chennouf, puis qui va entrer dans une école juive, assassiner un professeur et des enfants : Gabriel et Arié Sandler, ainsi que leur père Jonathan Sandler, et Myriam Monsonégo, à l’école Hozar Hatorah de Toulouse le 19 mars 2012.
La raison ? Ils ne sont pas ce que cet homme aurait souhaité qu’ils soient.
Tuer celui que je ne peux maîtriser.
Face à cette déferlante de haine, comment réagir ?
Apprendre à être responsable, responsable de soi et de sa relation à l’autre.
Merci
Ruth Ouazana Barer
C’est en tant que représentant de Monseigneur Olivier de Germay, archevêque de Lyon, que je suis conduit à prendre la parole devant vous. L’archevêque, croyez-le bien, est de tout cœur avec nous, mais il ne pouvait être physiquement présent en cette heure place Carnot, mobilisé au même moment, au Puy-en-Velay, par l’ordination épiscopale du nouvel évêque de cette ville, Monseigneur Yves Baumgarten.
Le 19 mars 2012, il y a déjà dix ans à un jour près, Mohammed Merah, citoyen français de 24 ans converti à l’idéologie démoniaque du djihadisme, assassinait, à l’école Ozar-Hatorah de Toulouse, trois enfants : Gabriel Sandler, trois ans, Arié Sandler, 5 ans , Myriam Monsonego, huit ans, et le père des deux premiers enfants cités, Jonathan Sandler, trente ans, enseignant de cette école. Dans les jours précédents, le jeune terroriste toulousain avait déjà commis des assassinats de jeunes adultes, et la France sous le choc n’a certainement pas réagi comme il aurait convenu au carnage accompli à l’école juive. Après l’assassinat de Gabriel, de Arié et de Myriam, en effet, le pays tout entier aurait du descendre dans la rue pour témoigner de son indignation, ce qui ne fut pas le cas. Nous autres, juifs, chrétiens ou musulmans qui croyons au Seigneur de la vie, nous sommes appelés à confesser ensemble que toute vie est sacrée. Mais la vie d’un enfant est encore plus sacrée, car l’enfant représente à la fois l’innocence et l’avenir de l’humanité.
Aujourd’hui, dimanche 20 mars 2022, journée nationale de lutte contre l’antisémitisme et veille de la journée internationale de lutte contre le racisme, nous voici réunis au Mémorial lyonnais des quarante-quatre enfants juifs d’Izieu raflés le 6 avril 1944 sur ordre de Klaus Barbie, le chef de la Gestapo de Lyon, puis exterminés par les nazis, pour la presque totalité d’entre eux au camp d’Auschwitz. C’est la même haine qui, à soixante-huit ans de distance, a tué Gabriel, Arié et Myriam et les enfants d’Izieu. Et de la même façon que, d’année en année, il est fait mémoire de la déportation et de l’assassinat des enfants d’Izieu, de la même manière il nous faudra dorénavant faire mémoire de l’assassinat des trois petits enfants de l’école Ozar-Hatorah de Toulouse. Car ces actes de mémoire n’ont pas pour fonction l’entretien de peines inconsolables qui nous laisseraient figés dans le passé: ils sont le premier et nécessaire moyen dont nous disposons pour conjurer la menace de nouveau crimes antisémites et plus, globalement, la menace de tout nouveau crime contre l’humanité. C’est pourquoi je rêve que dans toutes les villes de France, il y ait des monuments, situés de préférence proches d’écoles ou collèges, qui fassent mémoire des enfants d’Izieu et des enfants d’Ozar-Hatorah. Je vous dis cela à partir d’une expérience très personnelle mais qui, je crois, doit être l’expérience de beaucoup. A l’âge de treize-quatorze ans, comme beaucoup d’adolescents de mon temps, j’ai lu, bouleversé, le Journal d’Anne Frank. Moi l’enfant catholique très protégé, je me suis ainsi identifié quelque peu à cette adolescente juive morte en 1945 à Bergen Belsen. Je puis dire que, grâce à cette lecture, depuis près de soixante ans le visage d’Anne Frank ne m’a jamais quitté. Je souhaite aux enfants de France d’aujourd’hui de pouvoir vivre cette même expérience. Je leur souhaite de pouvoir s’identifier eux aussi aux enfants persécutés du monde, enfants juifs, enfants africains, enfants ukrainiens… C’est ainsi qu’ils seront protégés, en se protégeant eux-mêmes, de tout risque de devenir antisémites, racistes, ou encore auteurs ou collaborateurs de crimes contre l’enfance et contre l’homme.
Avec la cérémonie de cet après-midi, l’Amitié Judéo-Chrétienne de Lyon fait acte de fidélité à l’égard de toutes celles et de tous ceux qui, dans notre métropole de Lyon, avant, pendant et après les heures terribles de l’Occupation et de la Shoah, ont œuvré pour tout rejet du très ancien anti-judaïsme chrétien et tout rejet de l’également très ancien antisémitisme français. N’oublions jamais, en particulier, l’amitié lumineuse et féconde de l’avoué Emile Rodet, des Scouts de France catholiques, et du négociant Alfred Lazare, des Eclaireurs israélites, créateurs en 1946, à Lyon, d’un groupe judéo-chrétien de rencontre spirituel. Ils ont été parmi les premiers à répondre à l’appel à œuvrer ensemble lancé par l’historien Jules Isaac, et, du même coup, parmi les précurseurs de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France créée à Paris en 1948. Il faut nous souvenir de ces pionniers du rejet de l’enseignement, par les Eglises, du mépris à l’égard des Juifs au bénéfice d’un enseignement de l’estime, car les démons d’hier peuvent toujours se réveiller, ressurgir, et nous entraîner à nouveau dans des idéologies et des comportements meurtriers. Le temps passant, nous risquons d’oublier ce qui s’est passé, d’oublier ce qui a engendré et permis la Shoah, d’oublier ce que furent l’anti-judaïsme séculaire et l’antisémitisme également très ancien ; d’oublier, aussi, l’action de tous ces Justes de la région lyonnaise, parmi lesquels de nombreux chrétiens catholiques et protestants, qui ont risqué leur liberté et leur vie pour protéger et sauver des innocents. Cela doit être enseigné, mis en valeur, cultivé à l’intérieur de nos Eglises. Il faut susciter chez nos jeunes une vigilance permanente, mais aussi susciter chez eux l’admiration pour les Justes et leur donner l’envie de devenir capables d’imiter ceux-ci. Il faut le dire et le redire sans cesse, car l’histoire témoigne que ce ne fut pas toujours compris ainsi: on ne peut pas être chrétien et antisémite, chrétien et raciste. Mépriser un être humain en raison de ses origines, c’est mépriser le Créateur de la diversité humaine. Mépriser un Juif, c’est mépriser à la fois Moïse et Jésus, pour ne parler que d’eux.
Cet après-midi, ce n’est pas une simple cérémonie commémorative que nous vivons:c’est également un engagement. Quel que soit notre âge, quelle que soit notre insertion dans la nation, quelle que soit notre appartenance confessionnelle, nous sommes appelés à nous sentir et à nous montrer responsables du présent et de l’avenir. Parce que l’antisémitisme et le racisme malheureusement ressurgissent presque partout dans le monde avec force, nous sommes là pour dire : « Non ! plus jamais cela. Pas en notre nom ! ». Nous sommes-là, pour promettre aux enfants martyrs d’Izieu et à ceux de l’école Ozar-Hatorah, que leur souvenir nous habitera toujours, et leur promettre que nous agirons toujours afin que d’autres enfants ne soient pas victimes de semblables crimes.
Que l’Eternel nous assiste dans cette mission ! Qu’Il nous donne toujours le goût de nous sentir frères les uns des autres ! Amen.
Père Christian Delorme