Publié le 26 août 2021
Retrouvez ci-dessous l’homélie de Mgr Emmanuel Gobiiliard prononcée à des prêtres pour la fête de l’apôtre saint Barthélémy, mardi 24 août 2021, également jour de l’anniversaire de la proclamation de saint Jean de la Croix, docteur de l’Église.
Dans l’office des lectures d’aujourd’hui, saint Jean Chrysostome porte notre regard sur les apôtres, leurs misères, leurs faiblesses, leurs péchés. Le principal péché des apôtres, que Jésus souligne plusieurs fois dans l’Évangile, et en particulier lorsqu’il dit à Pierre « passe derrière moi Satan », c’est ce qu’on pourrait appeler la tentation du messianisme temporel, le refus de la passion, du mystère pascal ou, pour reprendre la terminologie de saint Jean de la Croix, le refus de la nuit. Il est stérile d’insister sur le péché des apôtres, sauf pour y voir le nôtre. Les apôtres refusent la nuit, et donc ils refusent la grâce. C’est le refus du mystère pascal, qui guette tout chrétien, dès lors qu’il veut avancer vers le succès apparent qui se mesure au nombre des vocations, au nombre de personnes présentes à la messe ou aux JMJ. Ces succès apparents ne sont pas un critère de fécondité. Sinon le calvaire est un événement stérile : il y a peu de monde, les apôtres et les disciples ont déserté, la foule s’est retournée contre Jésus, la souffrance est à son apogée, l’humiliation aussi… et la mort. C’est pourtant le lieu de la plus grande fécondité de toute l’histoire de l’Église, bien plus, c’est la source et le modèle de toute fécondité véritable. Cela me rappelle ces paroles que le futur pape Benoît XVI a prononcées dans un entretien radiophonique en…1969. Voilà ce qu’il disait :
« De la crise actuelle émergera l’Église de demain – une Église qui aura beaucoup perdu. Elle sera de taille réduite et devra quasiment repartir de zéro. Elle ne sera plus à même de remplir tous les édifices construits pendant sa période prospère. Le nombre de fidèles se réduisant, elle perdra nombre de ses privilèges. Contrairement à une période antérieure, l’Église sera véritablement perçue comme une société de personnes volontaires, que l’on intègre librement et par choix. En tant que petite société, elle sera amenée à faire beaucoup plus souvent appel à l’initiative de ses membres…
L’Église sera une Église plus spirituelle, ne gageant pas sur des mandats politiques, ne courtisant ni la droite ni la gauche. Cela sera difficile pour elle, car cette période d’ajustements et de clarification va lui coûter beaucoup d’énergie. Cela va la rendre pauvre et fera d’elle l’Église des doux. Le processus sera d’autant plus ardu qu’il faudra se débarrasser d’une étroitesse d’esprit sectaire et d’une affirmation de soi trop pompeuse. On peut raisonnablement penser que tout cela va prendre du temps… Mais quand les épreuves de cette période d’assainissement auront été surmontées, cette Église simplifiée et plus riche spirituellement en ressortira grandie et affermie. »
Saint Jean de la Croix aurait été heureux de cette affirmation prophétique. Ce qui m’a beaucoup frappé aussi dans la vie de saint Jean de la Croix, c’est qu’il ne témoigne jamais, il ne se met jamais en avant, et ne fait pas état de son expérience. Il ne parle jamais de lui ni de son expérience spirituelle et je pense qu’il aurait été très sévère vis-à-vis de notre tendance, tellement présente dans les années 80-90, mais encore présente, à mettre en avant des personnes. Nous recherchions des témoins pour nos aumôneries, nos paroisses ou nos congrès et, ce faisant, nous nous trompions lourdement. Certes le témoignage est plus facile, parce que plus personnel et donc plus affectif ; il donne l’impression d’être efficace parce qu’il suscite des conversions d’un instant mais il est dangereux, et, j’ose de le dire, stérile. Il met le témoin au centre, à la place de Jésus. Certes il prend la précaution de la fausse humilité, il répète à l’envi qu’il n’est rien qu’un pauvre serviteur, que seul Dieu est important, que c’est l’Esprit qui lui a permis de vivre la vie qu’il a vécue, que c’est Dieu l’auteur de tous ces dons, mais ne nous y trompons pas. En disant cela il tombe dans un subtil orgueil : l’affirmation, en creux, qu’il a été un excellent réceptacle ! En recherchant des témoins, nous avons fait des héros, et quand ces héros sont tombés, ce sont les fidèles, les petits, les pauvres, qui se sont mis à douter et à rejeter l’Église qui dit et ne fait pas, pire, qui dit, qui fait semblant de faire et qui tombe, entrainant dans sa chute ceux qui ont été émus par ces témoignages émouvants et brillants. Au témoignage, je préfère l’enseignement. Le témoin se présente comme un modèle alors que l’enseignant peut enseigner ce qu’il n’est pas encore capable de vivre, et son auditeur le sait. D’ailleurs dès que nous prêchons sur l’Évangile, nous savons que nous ne mettons pas en pratique ce que nous prêchons. Lorsque j’enseigne je dois pouvoir me dire : « il faut que j’enseigne l’Évangile, parce que, même si je ne suis pas, moi-même, capable de le vivre, je ne dois pas empêcher les fidèles de progresser, d’aller plus loin que moi dans les voies de la sainteté. » Nous enseignons Dieu et son message, alors que lorsque nous témoignons, nous témoignons de nous-mêmes.
Dans l’Évangile d’aujourd’hui, ce qui peut nous frapper aussi et qui est discrètement souligné par l’évangéliste, c’est la tentation qu’a eu Nathanaël de juger Jésus. Lorsqu’il dit « De Nazareth peut-il sortir quelque chose de bon », il se fait le critère, il réduit Dieu à ce qu’il peut en comprendre, en connaître. Mais Dieu dépassera toujours infiniment ce que je peux penser de lui, dire de lui. Le jugement est aussi une grande tentation des ministres que nous sommes. Nous aussi, pasteurs, nous sommes tentés de nous faire la mesure de tout, de juger les personnes, leur vie, leurs modes de vies, leurs situations. C’est ce défaut que voulait souligner le cri du pape François : « qui suis-je pour juger ? » Dans le jugement aussi, nous nous mettons au centre. Nous jugeons à l’aune de nous-mêmes. Non, ce que nous devons faire, comme pasteurs, c’est d’écouter, et d’accueillir les gens là où ils sont et les mettre en relation avec le seul qui puisse les sauver : le Seigneur Jésus ! D’ailleurs c’est cette relation que Jésus dévoile dans l’Évangile d’aujourd’hui. Jésus fait remarquer à Nathanaël combien il le connait déjà, combien l’amour de Dieu nous précède toujours, combien il nous connaît mieux que nous-mêmes : « quand tu étais sous le figuier, je t’ai vu ! » Il aurait pu dire : « Depuis le sein maternel je te connais ». Le salut, c’est d’accueillir ce cadeau : l’amour de Dieu qui nous précède et de garder notre main dans la sienne, de ne jamais perdre le contact. Donc, notre mission ce n’est pas de juger mais de conduire toute personne, quelle que soit sa situation, à Jésus. C’est la relation à Jésus qui nous sanctifie. La sainteté n’est pas un préalable à cette relation mais un fruit de la relation avec le seul Saint.
Pour terminer, je voudrais juste vous dire qu’en ayant fait cette analyse, je me suis condamné moi-même, j’ai succombé à la tentation du jugement. J’ai montré combien j’étais éloigné des sentiments qui sont dans le Christ Jésus. Jésus lui, alors que les défauts de Nathanaël étaient visibles, semble n’avoir vu que ses qualités. Jésus est bienveillant et il regarde avant tout ce qui est bon en nous. Il met en avant Nathanaël en disant de lui que c’est un homme sans ruse, un homme qui ne sait pas mentir. Jésus est bon, infiniment bon et il nous aime. Rendons grâce pour cet amour bienveillant de Dieu, pour ce regard qu’il porte sur chacun de nous et qui remplit notre cœur d’espérance. Oui nous sommes pécheurs, nous nous trompons souvent, et les apôtres eux-mêmes se sont trompés, mais « Dieu est plus grand que notre cœur ». Le saint n’est pas celui qui ne tombe jamais, mais celui qui se relève toujours. Restons donc toujours en contact avec lui. Il saura nous relever, nous appauvrir, nous faire découvrir la richesse, la profondeur, l’épaisseur du mystère pascal et nous y introduire. Amen