Publié le 23 janvier 2020
Les lectures d’aujourd’hui illustrent un combat terrible qui est bien sûr un combat entre le bien et le mal, entre la lumière et les ténèbres, mais qu’on peut exprimer avec les mots d’aujourd’hui, avec les mots du pape François. C’est le combat entre l’autoréférencement et le souci de l’autre, entre le repli sur soi et la charité évangélique. Dans la première lecture nous poursuivons le récit de cette lutte sans merci entre deux messies, deux rois qui revendiquent le pouvoir et qui s’affrontent dans une guerre d’egos pitoyable. Samedi, dans la lecture, nous étions émus aux larmes par cette liberté de Dieu qui choisit Saül et lui donne l’onction. Mardi, Dieu rejette Saül et choisit le dernier, le jeune et beau berger roux, et lui donne l’onction. Aujourd’hui c’est le triomphe de la jalousie. Pourquoi ? parce que chacun voit la réalité avec ses propres yeux. Ils ne peuvent s’empêcher de juger. Nous pouvons d’ailleurs conjuguer à la première personne du pluriel : nous ne pouvons pas nous empêcher de tout analyser au tamis de nos vues trop courtes, de nos intérêts mesquins, de notre orgueil et de notre volonté de puissance. Le jugement, c’est cela : nous nous faisons la mesure de tout et nous ramenons tout à nous. « La mesure dont vous vous servez, servira aussi pour vous ». C’est l’idolâtrie fondamentale dont parle toute la Bible, qui est au cœur du combat dont je viens de parler. L’idolâtrie, ce n’est pas cette attitude superstitieuse qui consiste à mettre sa foi dans des choses secondaires. D’ailleurs, cette superstition populaire qui s’exprime dans l’Évangile d’aujourd’hui, Jésus y répond bien volontiers et avec beaucoup de tendresse. Il pourrait penser : « Bon ! ces gens viennent toujours me voir pour que je m’occupe de leurs problèmes, pour que je fasse le thaumaturge ou le psy.
Comme j’aimerais qu’ils parviennent à vivre le mystère de la charité, le mystère pascal où ce qui devient important, c’est l’autre, où ils seraient chacun préoccupés par la vie de l’autre, par la souffrance de l’autre et même par les idées et les points de vue de l’autre. Jésus guérit, pas parce que les gens ont la foi, ils ne l’ont pas encore, mais pour qu’ils aient la foi, pour qu’ils entrent dans une autre démarche, qui est la démarche de Dieu lui-même, la démarche du don, de la charité, où l’autre est supérieur à nous-mêmes comme dirait saint Paul. L’idolâtrie fondamentale qu’illustre le livre de Samuel n’est donc pas une question de statuettes en bois, mais l’autoréférence, la puissance du moi, l’adoration de soi. Et le mouvement opposé dans lequel notre Dieu nous invite à entrer c’est son mouvement trinitaire, le mouvement qui nous transporte tout entier vers l’autre.
C’est le mouvement de la conversion, c’est le mystère pascal. Les gens de Galilée, de Judée, de Transjordanie, d’Idumée, de Tyr et de Sidon, de Jérusalem aussi, qui se précipitent pour rencontrer le héros qui saura répondre à leurs attentes, ne sont pas encore prêts à entrer dans la perspective de Salut que Jésus est venu leur annoncer. Mais Jésus est doux et miséricordieux, il est patient et accueille avec beaucoup de tendresse nos demandes blessées, nos demandes mal formulées, nos cris et nos revendications. Il le fait merveilleusement ici à Lourdes. Il le fait avec David qu’il retourne littéralement et qu’il fait entrer dans une nouvelle perspective. Il le fait avec Pierre et Marie Madeleine, avec Zachée et la Samaritaine, avec Bernadette aussi. Accueillons-le, au cœur de nos blessures, au cœur de nos souffrances, de nos péchés, au cœur de nos vies. Il saura, patiemment, nous enseigner que le salut n’est pas dans des objets, ni dans des idées, ni même dans des attitudes ou des préceptes moraux, qu’il n’est pas en nous, mais en lui.
Jésus est le salut, il est le chemin, la vérité et la vie et il se présente à moi sous les apparences du frère, sous les apparences de ce malade qui m’appelle, de ce pauvre que je suis aussi lorsque j’éprouve ma faiblesse. La vie chrétienne n’est pas d’abord une morale, elle est d’abord une vie, elle est d’abord cette rencontre avec celui qui est la Vie et qui se présente à moi à chaque instant, dans l’Eucharistie d’aujourd’hui comme dans le frère que je croise, dans la prière comme dans mon travail ou dans mes loisirs. Fréquentons-le souvent. C’est lui qui nous rejoint, c’est lui qui nous appelle. Retournons-nous vers lui ; pour cela il suffit de sortir de nous-mêmes.
L’Église en sortie, c’est d’abord l’Église en sortie de nous-mêmes. Aimons-le et laissons-nous aimer par Lui. Il saura nous distiller sa vie. Le Salut !