Publié le 29 juin 2019
Cher Nicolas, Cher Armel, Cher Vincent, cher Thomas, les lectures d’aujourd’hui nous proposent un magnifique enseignement sur l’Église et le sacerdoce ministériel. Il y a quelques jours nous avons vécu, sur ces textes, un beau partage dont je me suis nourri pour cette homélie. En fait, cette homélie, c’est un peu vous qui l’avez faite.
Un enseignement sur l’Église d’abord. Dans l’Évangile, Jésus dit à Pierre : tu bâtiras MON Église : cette Église, c’est la sienne ! Le diocèse, la paroisse, telle aumônerie, tel groupe étaient là avant nous et seront là après nous. Cette réflexion doit nous rassurer et nous donner confiance. Il saura conduire son Église quoi qu’il arrive, avec nos qualités et nos dons spécifiques, mais aussi avec nos limites, nos blessures et même nos péchés, si tout cela est visité par Dieu, traversé par sa grâce. Il est très important que nous nous le rappelions, que nous en soyons conscients, parce que si nous possédons notre mission, si nous considérons qu’elle nous appartient, alors nous empêchons la fécondité, la vraie, celle qui souvent nous échappe, nous surprend, et qui ne peut venir que de Jésus. Et en même temps Jésus dit à Pierre : « Je TE donnerai les clés ». Cette Église, c’est la sienne, mais la délégation est totale, la médiation humaine est, à ses yeux, très importante. Il dit cela à Pierre au moment de cette belle confession de foi à Césarée de Philippe, mais il le redira avec encore plus de force, après la résurrection, donc après la trahison de Pierre. Et c’est seulement à ce moment que Pierre comprendra vraiment combien Jésus lui fait confiance, combien aussi il est pauvre et indigne, combien c’est à travers sa pauvreté, son humilité que le Seigneur pourra agir vraiment. Il nous fait participer à sa mission et il nous confie un pouvoir, un pouvoir qui nous fait peur ou qui nous grise, mais un pouvoir de service, un pouvoir dont le but est de mettre les gens, l’Église, le peuple de Dieu, en relation avec son Seigneur. Quel est ce pouvoir de lier et de délier dont il est question dans l’Evangile ? Dans le sillon d’Isaïe, le Seigneur nous invite à délier les gens de fardeaux trop lourds. « L’Esprit du Seigneur Dieu est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé annoncer la bonne nouvelle aux humbles, guérir ceux qui ont le cœur brisé, proclamer aux captifs leur délivrance, aux prisonniers leur libération. »
Notre ministère est avant tout un ministère de consolation, de libération. Nous devons délier par la grâce du sacrement de sa miséricorde, par les autres sacrements et les sacramentaux, délier ceux qui portent un fardeau trop lourd. Délier, c’est proclamer que Dieu accueille tout le monde, qu’il a sans cesse les bras ouverts, comme le père de l’enfant prodigue. Délier, c’est rappeler qu’être chrétien, ce n’est pas d’abord correspondre à des normes, à des préceptes, ce n’est pas obéir à une liste de choses à faire ou à ne pas faire. La vie chrétienne n’est pas d’abord un ensemble de valeurs, une morale, mais d’abord une vie, une rencontre avec le Dieu vivant qui nous aime et qui nous sauve, une rencontre entre nous, comme nous l’a rappelé hier monseigneur Dubost. C’est cette affirmation qui a été au cœur de la proclamation des apôtres après la résurrection et qui nous est relatée dans le livre des actes. C’est la rencontre avec Jésus qui est première ; c’est au nom de cette rencontre, fortifiés par son Esprit et soutenus par sa grâce que nous pouvons agir bien. Personne ne doit se sentir trop éloigné, trop différent. Personne ne doit se sentir exclu de la rencontre avec Dieu, donc de l’Église. Notre mission est de le rappeler à temps et à contretemps. Pourtant il est aussi question de lier, dans l’Évangile. En quoi notre ministère peut-il consister à lier ? J’ai beaucoup aimé la réflexion de l’un d’entre vous : par le baptême, par les sacrements, nous sommes liés au Seigneur. Notre Dieu a choisi de faire alliance avec nous, de nous adopter comme ses enfants. Aux jeunes que je rencontre avant la confirmation j’aime dire ceci : vous êtes libres de tout vis-à-vis de Dieu : vous pouvez l’aimer et le renier, comme Pierre lui-même l’a fait, le louer ou le persécuter, comme Paul lui-même l’a fait, vous pouvez aussi crier vers lui votre souffrance et vous plaindre et pousser un énorme coup de gueule contre lui, comme les psaumes eux-mêmes le font. Il y a une chose dont vous n’êtes pas libres : vous ne pouvez pas empêcher Dieu de vous aimer. Au baptême, il a choisi de se lier à vous pour toujours. Quoi que vous fassiez, il vous aimera. Vous ne pouvez pas l’en empêcher. Le Christ a aimé l’Église et s’est livré pour elle. Par l’Église, il se lie à chacun de ses enfants…pour toujours. Oui notre ministère est aussi de lier, d’unir pour toujours le Christ et l’Église.
Cette responsabilité de Pierre à la tête de l’Eglise est telle qu’il a du mal à comprendre, comme il a du mal à comprendre ce qui lui arrive dans cette prison. Pierre a besoin de temps pour assimiler ce qui lui arrive, pour se mettre en route réellement. Nous avons, dans la première lecture, une belle image de ce temps dont Pierre a besoin pour réaliser ce qu’il lui arrive. Il croit qu’il est en train de rêver, que ce qu’il vit n’est pas réel. Nous aussi nous avons besoin de temps. Un homme devient père à la naissance de son enfant, mais il a besoin de temps. On devient père en vivant la paternité. Je vous demande, pour être des prêtres selon le cœur de Dieu, de vous laisser façonner par la vie, de vous laisser changer par les gens, de prendre le temps d’écouter. Dans quelques instants vous serez prêtres, mais vous n’aurez jamais fini de le comprendre, vous n’aurez jamais fini de le devenir. Vos frères prêtres vont vous y aider, les fidèles laïcs aussi. Pour qu’ils puissent vous aider, ayez besoin des autres et soyez humbles. N’ayez pas peur de demander. N’ayez pas peur d’être faibles. Au contact des autres prêtres, des autres diacres, des religieux et religieuses, des laïcs en mission ecclésiale, des bénévoles et de tous les fidèles, vous trouverez votre place et vous serez beaucoup plus forts, beaucoup plus heureux et beaucoup plus libres d’être pleinement vous-mêmes. A certains moments de votre ministère, comme Pierre dans la première lecture, vous serez en prison ou vous aurez le sentiment de l’être. Prisonniers de vous-mêmes ou prisonniers de situations que vous n’aurez ni voulues ni choisies, vous aurez des décisions à prendre et vous aurez peur. A ce moment-là, laissez venir l’ange. Priez et soyez disponibles à sa venue. Il aura des visages surprenants. Il sera beaucoup plus proche de vous que vous le l’imaginiez. La dernière réflexion que je voudrais vous livrer, concerne la gratuité de l’appel de Dieu, et le fait qu’il est le maître des temps et de l’histoire. Pourquoi, au début de la lecture, Jacques est-il martyrisé ? Pourquoi, Pierre est libéré et pas Jacques ? Pourquoi tel événement et pas tel autre ? Pourquoi l’Église est-elle confiée à un homme qui a trahi alors que Jean est resté fidèle et qu’il était présent au pied de la croix ? Pourquoi le cœur de Paul a-t-il été touché par la grâce, alors que je peine à me convertir et que souvent mon cœur reste indifférent à la grâce qui m’est pourtant offerte en abondance ? Ne vous inquiétez pas, Dieu sait ce qu’il fait ! Il fait lever son soleil sur tous et il sait même rétablir, guérir, relever. Il sait faire des situations les plus inextricables des lieux de conversion ; il sait transformer le mal en bien, il sait faire des pauvres pécheurs que nous sommes, des instruments de sa miséricorde. C’est incompréhensible, mais c’est lui qui agit, qui rétablit, qui transforme, qui dirige. N’ayez pas peur ! C’est son Église ! Les fidèles qu’il nous confie, ce sont les siens ! Le sacerdoce auquel il nous fait participer, c’est le sien ! Il est le seul Maître, le seul Seigneur, le seul Père. Il nous fait confiance, il a besoin de nous et nous confie les clés. Mais il est la porte. Il nous envoie, il nous fait confiance, il nous accompagne. Il ne nous laisse jamais seul, parce que c’est lui qui agit. Vous êtes ordonnés prêtres dans une Église qui est ballotée par les flots, qui est secouée de l’intérieur. Quelle chance vous avez ! Aujourd’hui, plus qu’avant, vous savez que vous ne pouvez pas vous appuyer uniquement sur vous, que plus que jamais vous aurez besoin des autres, que plus que jamais sa grâce se déploie dans la faiblesse, que plus que jamais, le mystère pascal se réalise dans la souffrance du vendredi comme dans le silence du samedi. C’est lui qui aime et qui sauve. Plus que jamais reposez-vous sur lui ! Il est la résurrection et la vie ! Il est le Christ, le Fils du Dieu vivant ! Amen