Chargement du site...
Les évêques
Ces petits riens qui donnent la grâce, le charme, la vie au corps

Publié le 13 février 2017

Ces petits riens qui donnent la grâce, le charme, la vie au corps

Homélie de monseigneur Emmanuel Gobilliard pour le 6ème dimanche du temps ordinaire.

Cet Evangile est très difficile à comprendre parce qu’il semble contradictoire. D’un côté, Jésus nous dit qu’il n’est pas venu abolir, que pas un seul iota, c’est le petit trait dont parle l’Evangile, pas un seul iota ne sera enlevé. Tout sera respecté ! La loi à la lettre, au signe même de la lettre, au signe de la ponctuation qu’est le iota. Rien de la loi ne sera enlevé par le Seigneur et pourtant il nous dit : « Si votre justice ne dépasse pas celle des scribes et des pharisiens… » et s’il y en a qui appliquent la loi à la lettre, ce sont bien les scribes et les pharisiens. Alors pourquoi le Seigneur met-il en opposition ce qu’il vient de dire sur la loi avec les scribes et les pharisiens ? Rien ne sera changé de la loi d’un côté et puis « si vous ne dépassez pas cette justice, vous serez les plus petits dans le royaume de Dieu » de l’autre. D’où vient cette étrange contradiction ?

En fait il n’y a pas de réelle contradiction. Il faut accomplir la loi mais aussi la dépasser. La loi, c’est nécessaire, c’est le socle, la base, c’est la condition nécessaire mais pas suffisante ; quand on a accompli la loi, on n’a encore rien fait. Lorsque j’ai fait mon devoir d’état, je ne suis qu’un serviteur quelconque, inutile, comme le dit un autre passage de l’Evangile ; je n’ai fait que mon devoir, je suis un serviteur quelconque. C’est donc à ce moment-là que tout commence !

La loi est nécessaire mais la loi n’est rien sans la grâce, c’est un peu comme avec l’art.
Imaginez que vous allez, autour du mois de mars, assister à un concert, par exemple le concerto pour clarinette de Mozart, à l’auditorium de Lyon. Dans l’allegro, le solo de clarinette commence ainsi : Sol mi fa la sol fa mi mi. Fa ré. Fa ré. Do si. Et vous êtes émus et saisis par ce magnifique concerto. Les larmes aux yeux, vous vous dites : « comme j’aimerais être capable de jouer cela, comme j’aimerais que mon fils ou ma fille soient capables de jouer ce concerto. » Et puis vous vous souvenez que, juste à coté de chez vous, votre voisin vous a cassé les oreilles pendant quinze jours avec « Sol mi fa la sol fa mi mi. Fa ré. Fa ré. Do si » ! Voilà le rapport qu’il y a entre la loi et la grâce. Je m’explique : Si jamais vous n’aviez pas entendu ces insistances du travail musical, s’il n’y avait pas eu le solfège, s’il n’y avait pas eu la technique de l’instrument, il n’y aurait pas eu le concerto pour clarinette de Mozart. Mais quand on a travaillé son instrument, quand on a fait de la technique on n’a juste rien fait parce qu’on n’a pas ému, rendu hommage à l’artiste, parce qu’il n’y a pas eu de concerto : la grâce implique la loi mais tout commence lorsque je suis capable de la dépasser ; c’est ce dont la deuxième lecture parle concernant la sagesse de Dieu, cette sagesse libre et gratuite. Le psaume 84 le disait aussi : « amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent ». La vérité est le socle de l’amour, de la charité. Mais tout commence avec la charité, la justice est le socle de la paix mais tout commence avec la paix.

C’est la gratuité, la liberté, la charité, la paix que nous devons atteindre et qu’il ne faut jamais opposer avec la justice, la loi, la vérité parce que ces dernières sont nécessaires aux premières. Cela veut dire que, pour notre vie quotidienne, nous devons faire ceci sans négliger cela et nous rappeler que tout commence avec la grâce. Dans la vie quotidienne, cela veut dire que je dois faire droit à la gratuité, par exemple à la joie dirait Claire de Castelbajac, à l’humour dirait Saint Philippe Neri, à toutes ces choses qui nous permettent de prendre de la distance par rapport à la gravité de notre existence, la gravité de la loi, la gravité de la vérité. La loi a besoin d’un petit supplément d’âme, elle a besoin d’être dépassée pour être belle tout simplement. Ce que nous attendons de notre vie, c’est quelle soit belle et elle ne peut pas être belle uniquement de la loi ; elle doit avoir quelque chose en plus. C’est, dans la vie de couple par exemple, ce que le père Caffarel a vu d’une manière admirable, en instaurant le DSA, le devoir de s’asseoir. Il s’agit juste de ce petit plus dans la vie du couple qui fait que j’ai fait mon devoir, que j’ai fait tout ce qu’il fallait, et que je vais maintenant prendre un temps gratuit avec mon épouse, avec mon époux pour l’écouter, lui parler, pour l’aimer, cela peut se traduire par un restaurant, un bouquet de fleurs, une action gratuite. La gratuité est nécessaire, le Seigneur nous le montre en nous surprenant toujours parce que la vérité, la loi sont convenues alors que la grâce surprend : « Descends de ton arbre, aujourd’hui je vais déjeuner chez toi », si ce n’est pas une surprise pour Zachée ! Nous voyons, par opposition, la tristesse du jeune homme riche. Il a accompli la loi, il a fait tout ce qu’il fallait sauf qu’il repart tout triste parce que le Seigneur lui demande une petite folie qui va rendre sa vie tout à fait différente. Nous avons tous le désir que nos vies soient belles, différentes, joyeuses, pleines de vie et cela implique que nous cultivions la gratuité et même parfois, l’humour.

Toujours imaginer que tout doit être cadré, organisé, prévu, cela nous empêche de vivre alors que, lorsque nous n’avons fait que notre devoir, nous n’avons pas encore commencé à vivre et le Seigneur nous apprend par sa sagesse, sa bonté, sa joie rayonnante ce qu’est la vraie vie : elle est tournée vers l’autre parce que, lorsque je n’ai fait que mon devoir, vous l’avez tous remarqué, j’ai tendance à me retourner sur moi-même : « j’ai fait ceci, et aussi cela », on ne voit que ce que l’on a fait. Etre capable de se tourner vers l’autre, même au creuset de la souffrance, c’est le supplément d’âme, c’est la grâce qui a si bien été vécue par notre Seigneur sur la Croix. Au cœur de sa souffrance, il est encore capable de dire « aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis », il est tourné vers le bon larron, il est aussi capable de pardonner. Il a accompli la loi mais il va bien au-delà, il offre, en la vivant, la sainteté. Nous pouvons prolonger la comparaison en utilisant le lien entre le corps et l’âme. S’il n’y a pas l’âme il n’y a pas la vie. Le corps inerte a exactement les mêmes dimensions, le même poids, que le corps vivant, mais tout est changé lorsqu’il y a de la vie. Si nous ne vivons qu’au niveau de la loi, du devoir, nous sommes morts, nous sommes un corps mort. Si nous oublions la loi, c’est comme si nous oubliions le corps, alors plus rien n’a de consistance et c’est le règne du relativisme. Dans la vie spirituelle, c’est la même chose. La grâce est indispensable. Dieu est notre tout, notre vie et nous sommes ces petits riens dont il veut, dans son amour inépuisable, avoir besoin. Alors ces petits riens que nous sommes deviennent pour lui essentiels. Si nous acceptons que Dieu soit tout pour nous alors nous comprenons combien il a toujours considéré que nous étions, pour lui la prunelle de ses yeux. En fait, il nous aime. Nous ne sommes pas grand-chose. Nous sommes des pécheurs. Nous nous détournons de lui et nous nous détruisons nous-mêmes en le refusant mais il nous donne quand même sa vie, il nous poursuit de son amour. Il nous aime au point de ne pas accepter que le péché nous détruise. Il est prêt à tout faire pour ces petits riens que nous sommes. Au point de nous donner sa grâce, sa vie, au point de nous donner son tout, son Fils. Demandons au Seigneur la grâce de vivre sous le régime de la grâce, dans la gratuité du don reçu et donné, avec joie.

Amen

En savoir plus

événements à venir
Découvrez notre magazine
Eglise à Lyon n°71 avril 2024

Suivez-nous sur
les réseaux sociaux