Publié le 25 juillet 2022
La première lecture nous offre le plus beau marchandage de l’histoire du salut. Pour la première fois, l’homme intervient dans les projets de Dieu, au point de pouvoir les infléchir. Dieu permet à l’homme, d’une certaine manière, d’intervenir ; il permet donc à l’homme, en fait, de changer ce qui était prévu !
Je pensais pourtant que la volonté de Dieu était immuable, inaltérable, éternelle. C’est pour cette raison que je prends soin de faire la volonté de Dieu ; ainsi lorsque j’étais jeune, et que je n’imaginais pas une seule seconde que cette volonté puisse changer d’un iota, j’imaginais pour moi une route toute bien tracée sur laquelle il fallait que je chemine, et s’il m’arrivait de m’éloigner de la route, il fallait que je me ressaisisse et que je revienne sur le droit chemin… sur le droit chemin. J’apprends donc, dans cette lecture que les chemins de Dieu ne sont pas si droits, que ses voies ne sont pas si impénétrables. Et si ce qu’Abraham avait fait, j’étais capable de le faire également ? Lui faire changer ses plans ?
Dans la première lecture, il manque un passage qui me semble essentiel. Au début de cet épisode, Dieu s’interroge. Il vient d’établir une alliance avec Abraham, lui promettant une descendance nombreuse. Il vient donc de faire d’Abraham un partenaire, il veut que le salut passe par lui, qu’il en soit un véritable acteur. Alors Dieu se dit : « Est-ce que je vais cacher à Abraham ce que je veux faire ? Car Abraham doit devenir une nation grande et puissante, et toutes les nations de la terre doivent être bénies en lui. En effet, je l’ai choisi pour qu’il ordonne à ses fils et à sa descendance de garder le chemin du Seigneur, en pratiquant la justice et le droit. »
Ainsi donc, dans un premier temps Dieu dévoile à Abraham ses plans, puis dans son élan, dans une même logique, il se laisse fléchir, ce qui signifie que son chemin va changer, s’adapter, que ses plans vont évoluer.
Et c’est bien ce qui se passe en permanence, nous le constatons tous les jours. J’ai cherché où le Seigneur m’attendait, quelle était ma vocation, quelle était la route bien droite qu’il avait tracée pour moi. Alors je suis entré au séminaire ; puis, l’Église ayant confirmé cet appel, j’ai été ordonné prêtre. Pourtant, je crois qu’il ne s’est pas passé 10 minutes après mon ordination, pour que déjà j’infléchisse la route qu’il avait prévue pour moi. Oh, non par un sain marchandage, pas non plus par ma puissante intercession… mais par mon péché. Depuis, de péché en péché, d’infidélité en infidélité, d’hésitation en hésitation, j’ai emprunté une autre voie et même plusieurs autres voies. Mes choix n’ont pas toujours été, malheureusement, ceux que le Seigneur voulait que je fasse. Je peux donc retourner le problème dans tous les sens, je n’ai pas fait sa volonté ; donc sa volonté n’a pas été accomplie, cette volonté dont je demande dans la prière du Notre Père qu’elle soit faite et qui ne s’accomplit finalement jamais !
La vérité, frères et sœurs, c’est que, même si nous voulons faire la volonté de Dieu, et c’est bien de le vouloir, nous ne la faisons jamais pleinement. La vérité, c’est que ce n’est pas nous qui essayons tant bien que mal de revenir sur le chemin qu’il a tracé. La vérité, c’est que c’est lui qui s’adapte, en permanence, que c’est lui qui nous suit lorsque nous n’arrivons pas à la suivre. Il est le chemin, la vérité, la vie, donc partout où il est, se trouve le chemin, même dans les méandres de ma vie infidèle où il ne cesse de me poursuivre, de me chercher, de me faire revenir à lui. Il me demande de revenir à lui et nous nous imaginons que nous nous sommes tellement éloignés qu’il doit être très loin de nous. La vérité c’est qu’il est tout proche de nous. Comme le dit le livre du Deutéronome, « elle n’est pas éloignée de toi cette parole, elle est tout proche de toi ». Oui c’est Dieu qui s’adapte, et il est capable de faire de ces méandres de nos vies, de nos péchés et de nos infidélités, des occasions de manifester son salut. Il a choisi que son salut se réalise à travers nous, alors c’est lui qui nous suit et non l’inverse. Le salut c’est de prendre sa main avec confiance, et cette main est toujours juste à côté de nous, quelle que soit notre situation. Il n’y a donc aucune situation humaine, aucune trahison de laquelle je ne puisse pas rejoindre Dieu. Le péché contre l’Esprit, ce n’est pas d’être trop éloigné de Dieu, d’avoir commis un acte qui m’empêche de prendre sa main ; le péché contre l’Esprit, c’est de ne pas prendre cette main, de ne pas croire que Dieu puisse me rejoindre, c’est de mettre une limite à son amour. Sinon il faudrait dire que Dieu a voulu la trahison de Pierre ou celle de Judas. Non, le Seigneur ne veut pas que nous commettions le péché et il ne peut pas compter sur notre péché pour réaliser son salut, mais il choisit que son salut passe par nous, alors il s’adapte à notre faiblesse. C’est cela la logique de l’alliance que Dieu établit avec l’humanité. Quelle est donc la différence entre Judas et Pierre puisque dans les deux cas il réalise le salut, il accomplit le mystère pascal ? Dans le cas de Judas il accomplit son salut, parce qu’il est vainqueur du péché et de la mort, mais sans la participation de Judas, sans lui. Quel drame pour Judas ! Dans le cas de Pierre, au moment où Jésus s’approche de lui, Pierre accueille le pardon. Il demande pardon et accueille l’amour de Jésus qui l’aime au point de renouveler en lui son mystère d’alliance. « Tu es Pierre et sur cette Pierre je bâtirai mon alliance ! » Mais ça, c’était avant la trahison, avant que Pierre fasse l’expérience de sa faiblesse, qu’il fasse l’expérience de la miséricorde inouïe de Jésus. Après la résurrection, devant le disciple en larmes, comme devant chacun de nos péchés, chacune de nos faiblesses, rejoints par sa grâce, Jésus nous redit : « tu es chair et sur cette chair je bâtirai mon Eglise ! Quelle est ta blessure, quelle est la blessure de ton cœur pour que j’y construise l’Eglise ? Pour que je t’ouvre à la fécondité, une fécondité qui peut être très cachée, même à tes propres yeux mais une fécondité réelle et d’une puissance que tu n’imagines pas, la puissance de mon amour, si ta blessure est offerte, si ta blessure est traversée par la grâce, si ta blessure devient mystérieusement, dans le mystère de la croix, ma blessure ». Nous en avons peur, bien sûr, et nous voudrions que le Seigneur passe plutôt par nos qualités ou nos talents pour faire grandir l’Église. Rassurez-vous il le fait aussi, mais seulement après avoir touché nos blessures. Quelle grâce ce texte de la déclaration d’amour mutuel de Pierre et de Jésus, signe de la miséricorde de Dieu ! Il nous ouvre à une espérance indéfectible, il nous empêche d’être tournés vers le passé, vers nos péchés et nos difficultés mais il donne un sens à tous les événements que nous croyons subir alors qu’ils nous sont offerts pour notre bonheur, au-delà de tout ce que nous pouvons en comprendre.
Demandons au Seigneur cette grâce que la Vierge Marie a vécue de façon éminente, la grâce de la foi, la force de croire que même dans la souffrance de la croix, même dans le silence du samedi saint, la flamme de la petite espérance demeure, que rien n’est impossible à Dieu ! La force de poursuivre le divin marchandage et d’accepter qu’au nom de la fidélité d’un seul, de Jésus, l’unique sauveur, l’humanité tout entière est sauvée.
Demandons-lui de vivre l’attitude toute paulinienne qui nous permettra de croire que la grâce peut toujours se déployer, même et surtout dans la faiblesse. Dans la deuxième lecture il nous dit : « Il nous a pardonné toutes nos fautes. Il a effacé le billet de la dette qui nous accablait… il l’a annulé en le clouant à la Croix ».
Demandons-lui de vivre l’attitude toute pétrinienne du pardon, cette grâce qu’il nous invite, dans l’Évangile d’aujourd’hui, à recevoir de lui, qu’il nous invite à transmette à tous ceux qui, autour de nous, ont tellement soif d’être pardonnés, ont tellement soif d’être relevés, ont tellement soif d’être aimés.
C’est en étant les témoins et les artisans du pardon que Dieu nous offre, qu’il offre à l’humanité entière, que nous serons « sel de la terre et lumière du monde ».
+ Emmanuel Gobilliard