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Les évêques
Les quatre piliers de la doctrine sociale de l’Église

Publié le 14 mars 2018

Les quatre piliers de la doctrine sociale de l’Église

Conférence, débat sur le thème “Quels choix éthiques pour vivre en société” le 14 mars 2018 à l’Espace Saint-Ignace. Avec Monseigneur Emmanuel Gobilliard, évêque auxiliaire de Lyon et Monsieur Bruno Bonnell, député du Rhône.

1. La dignité de la personne humaine

L’être humain, quel qu’il soit, est créé à l’image de Dieu et racheté en Jésus. Il est sans prix !
Ceci est le principe de base de la doctrine sociale de l’Eglise Catholique. La personne humaine est un cadeau, un don. En tant que telle elle se reçoit, elle s’accueille. Elle ne se définit pas ! En ce sens, la notion de dignité de la personne humaine rejoint ce qu’on pourrait appeler le sujet de droit dans le cadre de nos démocraties. Dans une démocratie, le grand interdit, c’est de redéfinir le sujet de droit. Les fois où une telle limite a été franchie, la démocratie en a perdu sa nature. Je pense aux pays qui ont redéfini le sujet de droit pour en exclure telle ou telle catégorie : les juifs, le noirs, les esclaves, les personnes handicapées, les homosexuels. Toute personne est digne de respect, au-delà même de ce qu’elle a fait, en raison seulement de ce qu’elle est. Etant digne de respect, la personne humaine ne peut jamais être considérée comme un moyen en vue d’une fin, même si cette fin est louable. Elle est en revanche membre d’une communauté humaine au service de laquelle elle est en étant au service du bien commun. Ainsi la doctrine sociale de l’Eglise préfère la notion de personne à la notion d’individu, pour rappeler cette communion de tous les hommes et les femmes, cette solidarité. Nous préférons aussi la notion de personne à la notion d’identité, parce que la personne est riche, complexe et traversée de multiples identités : ainsi je suis français, mais aussi artiste ou motard. Je suis évêque et homme masculin. Si je regarde ces identités pour elles-mêmes, je risque de les vivre dans le conflit, en opposition avec les autres au lieu de les vivre en relation, en complémentarité et comme des richesses. Ainsi, si je considère uniquement mon identité de motard je risque de la vivre en opposition aux automobilistes, mon identité de français en opposition aux étrangers, ou d’évêque contre les laïcs, ou d’homme contre les femmes. Faire droit à la complexité du vivant est une façon d’en reconnaître la richesse.
Chaque personne quels que soient sa race, son sexe, son âge, sa nationalité d’origine, sa religion, son orientation sexuelle, son statut vis-à-vis de l’emploi, son niveau économique, sa santé, son intelligence, sa réussite ou n’importe quelle autre caractéristique, doit être regardée pour elle-même comme unique et précieuse pour la société. Ce principe est considéré comme le premier principe, dans la mesure où la personne humaine est au cœur de la doctrine sociale de l’Eglise. L’Etat, le groupe ethnique, la tribu ou même la famille, sont au service de la personne, et non l’inverse, même si la personne peut et doit servir ces groupes humains, parce qu’ils contribuent au bien de la personne humaine.

Ce principe entraine naturellement le respect de la vie humaine.
Ici intervient la notion de temps, de durée. La vie ne dépend pas son efficacité, de sa productivité pour la société. A chaque étape de son développement et de son déclin, elle est précieuse et doit être protégée, en particulier lorsqu’il s’agit de personnes vulnérables en raison de leur âge, leur santé, leur précarité, leur situation sociale. Il est toujours coupable d’attaquer directement une vie humaine innocente. La tradition catholique voit le caractère sacré de la vie humaine comme faisant partie de toute vision morale d’une société juste et bonne.

2. Le bien commun

Le deuxième principe classique de la doctrine sociale de l’Église est précisément le principe du bien commun. Ce principe est défini par le Concile Vatican II comme étant ” l’ensemble des conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres, d’atteindre leur perfection d’une façon plus totale et plus aisée ” (GS 26 ; cf. GS 74 ; CEC 1906).

La personne humaine est faite pour vivre en société. La façon dont nous organisons la société -au niveau économique et politique, légal et juridique- affecte directement la dignité humaine et la capacité des individus à grandir et à s’épanouir dans la communauté.

La famille, cellule de base de la société, est le premier lieu de la croissance physique, psychologique, relationnelle et spirituelle. Le développement de l’équilibre humain trouve donc dans l’environnement familial le lieu privilégié et habituel de son développement. La famille est également le premier lieu d’éducation et de croissance humaine. Cette éducation peut être confiée, pour partie à des institutions sans que ces institutions ne se substituent à la famille. C’est pour cela que l’Eglise est très attentive aux jeunes, pour qu’ils puissent trouver un environnement familial qui leur conviennent ou, lorsqu’ils en ont été privés naturellement, un climat qui leur permette de vivre les valeurs familiales. La notion de bien commun ne peut donc se penser indépendamment de la famille

Le bien commun rappelle aussi que mon bien est en relation avec le bien de tous. Les deux biens, de la personne et de la société ne peuvent s’opposer, mais se comprennent en relation l’un avec l’autre, parce qu’il est bon pour moi que la société aille bien, que je sois en relation avec les autres et que cette relation soit organisée. L’individualisme, qu’un certain libéralisme exalte est, dans bien des cas, un frein à l’appréhension par chacun du bien commun et la position, de plus en plus répandue, selon laquelle je peux tout faire à partir du moment où je ne nuis à personne est à l’opposé de la notion de bien commun. Tout ce que je fais, au contraire, à une influence dans la société dans la mesure où je fais partie de la société et que je suis en relation avec les autres. Il y aurait aussi un développement à faire à ce sujet concernant le rapport entre sphère privée et sphère public. Si la notion de bien commun permet une distinction claire des deux sphères, il serait faux et préjudiciable de les opposer ou les distinguer trop radicalement.

Le bien commun s’oppose en revanche à l’utilitarisme, qui considère qu’au nom du bien d’une majorité de personnes, on peut négliger le bien de la minorité, ou qu’on peut soumettre le bien d’une minorité au bien d’une majorité. Au contraire, la dignité de la personne exclue la subordination du bien d’un individu au bien des autres. Une telle subordination ferait de l’individu un moyen pour assurer le bonheur des autres. Ici encore, le respect des plus vulnérables, des plus pauvres entre en ligne de compte, ainsi que la question des minorités ou des inégalités sociales.

Aujourd’hui, alors que les différents groupes humains sont constamment en lien les uns avec les autres, le principe du bien commun peut aussi s’appuyer sur des structures internationales dans la mesure où elles contribuent au juste développement des personnes et des familles par-delà les frontières régionales et nationales.
Il n’est pas facile de s’entendre sur la notion de bien commun, et dans ce domaine, le consensus est difficile à établir, mais l’absence de référence au bien commun est un signe certain de décadence dans une société. Quand la notion de la communauté s’étiole, le souci du bien commun diminue aussi. L’attention à la notion de communauté protège contre un individualisme excessif qui peut détruire l’équilibre, remettre en cause l’harmonie et la paix au sein des groupes.

Le bien commun, par ailleurs, exige l’amour préférentiel pour les plus pauvres, parce que, plus vulnérables, moins influents, moins défendus, ils risquent d’être oubliés, peu pris en compte, ou pire, exclus, ce qui ferait dériver la notion de bien commun vers le bien des plus forts.

3. Subsidiarité

Le troisième principe de la doctrine sociale est celui de la subsidiarité. Il a été énoncé pour la première fois de façon organisée par le pape Pie XI dans sa Lettre encyclique Quadragesimo anno. D’après ce principe, les décisions doivent être prises dans la société au plus proche des personnes sur qui ces décisions influent directement. Ce principe vient un peu équilibrer le principe précédent pour éviter les excès d’une trop grande concentration des pouvoirs.

Ce principe a été formulé à une période où les totalitarismes du XXème siècle commençaient à émerger. Ces totalitarismes s’appuyaient systématiquement sur une doctrine qui, développant un centralisme excessif des pouvoirs, subordonnait l’individu à l’État. Ce principe nous invite donc à équilibrer le rapport entre le secteur privé et le secteur public pour trouver des solutions aux problèmes sociaux, à investir l’individu ou les groupes sociaux intermédiaires dans la recherche de solutions, pour que ces solutions soient réalistes, et justement réparties dans la population. Ce principe évite également le « fait du prince », la distribution arbitraire des richesses à certains groupes plutôt qu’à d’autres.

Pour sa part, le pape Léon XIII ” insiste à plusieurs reprises sur les nécessaires limites de l’intervention de l’État et sur sa nature de simple instrument, puisque l’individu, la famille et la société lui sont antérieures et que l’État existe pour protéger leurs droits respectifs sans jamais les opprimer ” (CA 11).

4. Solidarité

C’est dans la Lettre encyclique Sollicitudo rei socialis (1987) que nous trouvons dévoloppé, par Jean Paul II, le quatrième pilier de la doctrine sociale de l’Eglise. Il est appelé principe de la solidarité. Face à la mondialisation, c’est-à-dire à l’interdépendance croissante des hommes et des peuples, ce texte nous invite à prendre conscience de l’unité de la famille humaine. La solidarité, au nom de cette unité nous invite donc à être attentifs aux autres, et en particulier à ceux qui souffrent.

Le Saint-Père ajoute que la solidarité n’est pas seulement un sentiment, mais une ” vertu ” authentique qui nous pousse à devenir responsables les uns des autres. Insistant sur le fait que la solidarité n’est pas seulement un sentiment mais une vertu, le Saint-Père a écrit en particulier que la solidarité ” n’est pas un sentiment de compassion vague ou d’attendrissement superficiel pour les maux subis par tant de personnes proches ou lointaines. Au contraire, c’est la détermination ferme et persévérante de travailler pour le bien commun, c’est-à-dire pour le bien de tous et de chacun parce que tous nous sommes vraiment responsables de tous ” (SRS, 38).

“L’enseignement social catholique proclame que nous sommes les gardiens de nos frères et de nos sœurs où qu’ils se trouvent. Nous formons une seule famille humaine… Apprendre à pratiquer la vertu de solidarité signifie apprendre que “aimer notre prochain a des dimensions globales dans un monde interdépendant”[8].
Le principe de solidarité conduit à des choix qui, in fine, assureront la promotion et la protection du bien commun.
La solidarité nous appelle à ne pas répondre seulement à des malheurs personnels et individuels ; il y a des problèmes de société qui sont un cri exigeant des structures sociales plus justes. Pour cette raison, l’Église nous appelle souvent, aujourd’hui, non pas seulement à nous engager dans des œuvres charitables, mais aussi à travailler à la justice sociale.

De ce principe de la solidarité, découle la question de la gestion de la création. Le pape François, a ce propos, a voulu rappeler le lien fort qui existe entre l’économie, le social, la politique, les mouvements migratoires et l’environnement, en créant le dicastère du développement humain intégral. Ainsi, on ne peut penser le social indépendamment du politique, ou de l’économie. On ne peut considérer sérieusement la protection de l’environnement sans voir les conditions de possibilité, économique, politique et sociales qu’elle réclame. Tout est lié et nous ne sommes pas propriétaires, ni des personnes, ni de la nature, ni des structures économiques, ni de nos mandats politiques. Nous sommes tous des gestionnaires. Et une telle gestion ne peut pas se penser au niveau d’un groupe, d’un Etat, ni même d’un seul continent. Il doit nécessairement, puisqu’il concerne notre humanité et notre monde, se vivre de façon globale, concertée et responsable. De la même manière, concernant les piliers de la doctrine sociale de l’Eglise, il serait dangereux de les considérer séparément. Le respect de la personne ne peut se penser indépendamment de la notion de bien commun. Par ailleurs, le respect de la personne implique la solidarité. Vouloir choisir un principe plutôt qu’un autre, c’est prendre le risque d’une manipulation dangereuse au service d’opinions politiques. Pour le catholique, tous ces principes interagissent, sont liés les uns avec les autres.

La notion de solidarité s’appuie enfin sur la notion d’égalité, non pas comprise comme une uniformité, une uniformisation de la société, mais comme une égalité de chances, pour chacun, d’atteindre son sommet, de réaliser, pour le bien de tous, ce pourquoi il est fait.

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