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Les évêques
La question de l’au-delà dans la foi catholique

Publié le 22 novembre 2017

La question de l’au-delà dans la foi catholique

Le catéchisme de l’Eglise catholique voit le ciel comme une communion de vie et d’amour avec la sainte Trinité, avec la Vierge Marie, les anges et tous les bienheureux. « Le ciel, ajoute le catéchisme au numéro 1024, est la fin ultime et la réalisation des aspirations les plus profondes de l’homme, l’état de bonheur suprême et définitif ». « Vivre au ciel c’est être avec le Christ ».

Nous voyons d’emblée que l’au-delà pour le chrétien est une rencontre de personne à personne, une rencontre personnelle avec le Christ. L’identité de la personne demeure et même son nom, puisque nos noms sont inscrits dans les cieux. « Réjouissez-vous dit Jésus parce que vos noms sont inscrits dans les cieux ».

Cette révélation de l’amour de Dieu qui nous est offert pour l’éternité est la source de notre espérance et donne sens à toute notre vie.

Nous voyons combien notre vision du ciel éclaire notre vie terrestre, à moins que ce ne soit l’inverse. Je m’explique. Dans toutes les grandes traditions religieuses, c’est bien la foi en l’au-delà qui a des conséquences pour la vie d’ici-bas. Pour le chrétien, il semble qu’il faille voir les choses dans l’autre sens. La vie éternelle est déjà commencée. C’est plutôt la vie éternelle qui semble être à l’image de notre vie d’ici-bas, du moins dans ce qu’elle a de plus important : la charité.

Cette réflexion est plus importante qu’il n’y parait et elle demande à ce qu’on revienne sur la conception chrétienne du temps.

Plongeons pour cela dans la tradition philosophique grecque.

1. La conception chrétienne du temps

1.1 Le temps, un don de Dieu

Une conférence sur la conception chrétienne de l’au-delà nous oblige à aborder longuement la question du temps, du temps qui passe et que nous avons bien du mal à apprivoiser, et qui pourtant fait partie de notre vie. Le temps est parfois un ennemi dont nous voudrions nous débarrasser pour être plus vite au ciel, dans l’éternel présent, et pourtant il est indispensable à notre sanctification. Le Dieu créateur a voulu créer le temps, et il nous a inscrits dans le temps.

Le temps est un don de l’amour de Dieu. Dieu nous donne le temps pour que nous puissions nous convertir. Il nous laisse le temps pour que nous apprenions à aimer, à nous donner, à nous laisser transformer, patiemment par lui. Nous sommes inscrits dans le temps et Dieu se sert du temps pour nous sauver. Nous ne pouvons pas nous extraire du temps comme si nous étions des anges. Cela nous permet de nous purifier et de creuser notre désir d’être sauvés, notre désir de la sainteté, notre désir de Dieu.

Toute la Bible nous parle de la valeur du temps depuis la promesse faite à Abram et qui a mis 25 ans à se réaliser, en passant par le long esclavage du peuple d’Israël en Egypte, puis de la délivrance et à nouveau de l’épreuve du désert et des 40 ans de purification, et les 30 ans d’attente, de vie cachée de Jésus à Nazareth.

Le temps est nécessaire. Cela me rappelle l’histoire du vieux moine qui reçoit la visite du novice. Un jour un novice va voir un vieux moine et lui demande, comme les apôtres en leur temps : « apprends-moi à prier ! » Le vieux se tait et le novice repart. Ayant  médité un mois sur le silence du vieux moine, le jeune revient : « apprends-moi à prier ! » Le vieux se tait et le novice repart. Se croyant persévérant, le novice revient deux mois plus tard : « apprends-moi à prier ! » Le vieux se tait puis finalement le prend au collet et de sa main de fer, lui plonge la tête dans la rivière. Le jeune s’agite et se débat, résiste et finalement se noie. Le vieux moine le retire vivement de la rivière, lui fait cracher son eau et lui dit : « quand tu voudras prier avec autant d’ardeur que tu as voulu respirer, je t’apprendrai ! » Notre vie est remplie de ces périodes de longues attentes, depuis les neufs mois de la gestation jusqu’à notre agonie, en passant par ces heures de conférence qui n’en finissent pas. Oui le Seigneur nous apprend la patience, puis soudain il surgit comme l’éclair, à l’image de la fusion des gamètes qui jaillit comme la vie, comme l’amour qui se donne. Nous sommes souvent ballotés au gré des instants qui se succèdent et qui se transforment en durée.

1.2 Chronos et Kaïros

Curieusement, le grec, langue avec laquelle l’Evangile a été écrit, utilise deux mots qui se traduisent en français par un seul : le temps.

Ces deux mots sont Chronos et Kaïros (en fait il y en a un troisième Aion, le temps cyclique sur lequel je ne m’arrêterai pas). Le premier exprime la durée, le second l’instant qui surgit.

Le premier n’existe pas vraiment puisqu’il est évidemment soit passé, soit futur. Il exprime ce futur qui arrive, qui traverse le présent et devient aussitôt passé.
Ce temps-là se mesure en secondes, en minutes, en heures, en jours, en mois, en années, en siècles, en millénaires. La seconde est trop courte, mais le siècle est trop long. Ce temps-là nous laisse insatisfaits ou frustrés.

Le second, Kaïros, exprime l’événement, la réalité qui transforme et qui nous transforme, l’amour qui surgit dans nos vies sous la forme d’un ami ou d’un pauvre, d’un frère, d’un service à rendre ou d’un devoir d’état à accomplir. Dans le nouveau testament, le mot Kaïros est employé par saint Paul lorsqu’il nous dit « Au moment favorable je t’ai exaucé, au jour du salut je t’ai secouru. Le voici maintenant le moment favorable, le voici maintenant le jour du salut. »

Nous nous sanctifions toujours dans ce moment favorable que Dieu nous offre, dans ce kaïros qui nous permet de sortir de la lourdeur du temps, de faire jaillir au cœur de notre routine un moment d’éternité. Si le chronos est utile, c’est pour nous préparer au Kaïros. Ainsi, l’avent nous prépare-t-il à accueillir l’événement de Noël qui sort du temps en s’inscrivant dans l’éternité. Et pour le manifester, la liturgie nous permet de le célébrer pendant une semaine, l’octave de Noël. Pâques est préparé par le carême. Le chronos, comme le carême, nous rappelle à la mort, au temps qui se prolonge et qui s’éteint alors que l’événement pascal nous ouvre à la vie.

Votre mariage pour ceux qui ont reçu ce sacrement ou le sacrement de l’ordre pour nous est un événement qui s’inscrit dans un instant mais qui est, d’une certaine manière, éternel, comme l’amour et qui se renouvelle dans chaque acte d’amour  que vous déposez dans le cœur de Jésus. Dieu prépare notre cœur, dans le temps, dans le labeur et la pénibilité des heures qui passent, à accueillir le moment favorable, celui où il surgira dans nos vies. C’est ce temps-événement que chante sainte Thérèse de l’Enfant Jésus lorsqu’elle dit :

 « Ma vie n’est qu’un instant, une heure passagère
Ma vie n’est qu’un seul jour qui m’échappe et qui fuit
Tu le sais, ô mon Dieu ! pour t’aimer sur la terre
Je n’ai rien qu’aujourd’hui !…
Oh ! je t’aime, Jésus ! vers toi mon âme aspire
Pour un jour seulement reste mon doux appui.
Viens régner dans mon cœur, donne-moi ton sourire
Rien que pour aujourd’hui !
Que m’importe, Seigneur, si l’avenir est sombre ?
Te prier pour demain, oh non, je ne le puis !…
Conserve mon cœur pur, couvre-moi de ton ombre
Rien que pour aujourd’hui.
Si je songe à demain, je crains mon inconstance
Je sens naître en mon cœur la tristesse et l’ennui.
Mais je veux bien, mon Dieu, l’épreuve, la souffrance
Rien que pour aujourd’hui… »

Dans l’Evangile de la sainte famille que nous entendons dans la liturgie après Noël, deux personnages semblent arrêter le temps. Il s’agit de la prophétesse Anne, 84 ans, soit 7 fois 12ans. La perfection dans l’ordre de la qualité multiplié par la perfection dans l’ordre de la quantité. Anne qui représente l’attente humble et patiente du peuple d’Israël et Syméon, le vieillard qui n’a pas d’âge, comme le temps qui surgit à la vitesse de l’éclair, sous la forme du glaive qui transpercera le cœur de Marie.

Nous nous préparons dans le chronos et nous nous donnons dans le kaïros.
Nous nous préparons dans la durée et nous nous donnons dans l’instant.
Vous voyez maintenant où je veux en venir. Toute notre réflexion sur le ciel, sur l’éternité, se trouve contenue dans l’éloge du temps que je viens de vous faire.

Si le temps est vécu comme une lourdeur, c’est parce qu’il est attente d’éternité qui surgit dès notre vie d’ici-bas.

1.3 La vie de Marie, entièrement Kaïros

L’éternité, la vie éternelle a surgit dans la vie de Marie le jour de l’Annonciation et à chaque fois que dans sa vie, il y a eu un acte d’amour, c’est-à-dire, pour elle, à chaque instant. C’est le sens de l’assomption de Marie. Elle n’a pas eu besoin de passer par une étape qui nous est nécessaire puisque toute sa vie, parce que entièrement Kairos, entièrement communion avec Dieu, était inscrite dans l’éternité.

En Marie, comme en Jésus l’au-delà était déjà commencé. Et plus encore pour Jésus puisqu’il existait avant le temps, comme nous le rappelle le livre des Proverbes : « Le Seigneur m’a faite pour lui, principe de son action, première de ses œuvres, depuis toujours. Avant les siècles j’ai été formée, dès le commencement, avant l’apparition de la terre. Quand les abîmes n’existaient pas encore, je fus enfantée, quand n’étaient pas les sources jaillissantes. Avant que les montagnes ne soient fixées, avant les collines, je fus enfantée, avant que le Seigneur n’ait fait la terre et l’espace, les éléments primitifs du monde. Quand il établissait les cieux, j’étais là, quand il traçait l’horizon à la surface de l’abîme, qu’il amassait les nuages dans les hauteurs et maîtrisait les sources de l’abîme, quand il imposait à la mer ses limites, si bien que les eaux ne peuvent enfreindre son ordre, quand il établissait les fondements de la terre. » L’au-delà pour nous n’est pas une autre réalité mais l’ici-bas transfiguré.

La plus belle définition que j’ai entendue de l’au-delà nous était souvent communiquée par monseigneur Brincard, lorsqu’il évoquait ce petit enfant à qui l’on posait la question : « qu’est-ce que le ciel ? » et qui répondait : « plus tu aimes, plus tu comprends ». Alors nous voyons combien notre ici-bas est influencé par notre conception de l’au-delà, puisque l’au-delà peut être vécu dans notre ici-bas si Dieu a sa demeure, aujourd’hui dans nos vies.

1.4 Chronos et Kaïros au sein de la famille

Il n’y a pas de sainteté dans le futur. Dire « demain je serai saint » n’a aucun sens. La famille est le lieu privilégié où nous apprenons à nous préparer, dans le temps, à aimer dans l’instant. Elle nous apprend le réalisme de la charité concrète, de la friction et du pardon. La famille burine nos cœurs dans le labeur des jours pour qu’il puisse aimer, consoler, soutenir, accompagner l’hôte qui frappe à la porte, la grand-mère qui meurt, l’orage qui gronde ou l’enfant qui nait.

Le Kaïros nous rappelle que, quelles que soient les difficultés que vous rencontrez, Dieu s’invite à votre table maintenant. Dans le temps des difficultés et des blessures, des souffrances, dans le temps de la lassitude et du péché, l’amour du Seigneur a fait irruption sous les traits d’un enfant. La sainte famille enveloppe de sa tendresse toutes les familles de la terre en leur apprenant l’éternité qu’on appelle aussi, en langage chrétien, le bonheur.  Aujourd’hui Jésus continue de vous aimer, de vous sauver. “Maintenant ô Maitre souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix selon ta parole car mes yeux ont vu le salut”.

2. L’enfer, le purgatoire et le ciel

La miséricorde de Dieu permet au temps d’une manière mystérieuse de se poursuivre, sous une forme bien différente au purgatoire. Nous avons vu en effet que notre résurrection ne sera totale que lorsque notre corps ressuscitera, lorsque nous aurons retrouvé notre vraie nature, humaine, qui unit le corps, l’âme et l’esprit.

Donc, avant que le retour du Christ dans la gloire n’ait permis cette glorification de nos corps nous sommes dans une certaine attente. Aussi bienheureuse soit elle, c’est une attente qui implique une notion de temps. Cette attente permet au Seigneur de nous faire un don inestimable, don de son amour, don de sa miséricorde qu’est le purgatoire. Le purgatoire, c’est l’ultime tentative de Dieu de nous faire participer à son bonheur éternel. Un peu similaire à l’avent et au carême qui sont des temps d’attente, d’accroissement du désir et de purification, le purgatoire reste parfois difficile à comprendre, tout comme l’enfer. J’aimerais vous partager, en vous lisant à nouveau une page d’une lettre que j’ai écrite à Madagascar, une réflexion sur le ciel, le purgatoire et l’enfer.

2.1 Le forgeron de Tanjomoha – Le feu

En voyant vivre les malgaches, surtout à Tanjomoha où la foi est si vivante, j’ai l’impression de résoudre certains problèmes de théologie, comme si les pauvres avaient cette intelligence du cœur qui nous fait tellement défaut. C’est la théologie des saints, dirait le père Lethel ! Ainsi j’étais fermement décidé à répondre à l’un d’entre vous (du coup je réponds « à tous ») qui me posait la question de l’enfer, du purgatoire et du paradis, (le problème étant : comment Dieu, qui est tout Amour peut-il rejeter des personnes qu’il aime et qu’il a créées ?) lorsqu’à Nohona j’ai vu travailler un forgeron qui brûlait une tige de fer au point de la rendre incandescente. En le regardant faire, je ne distinguais plus le feu du fer en feu. Le fer semblait devenir du feu. Et j’ai compris que l’amour était un feu et qu’on ne pouvait comprendre ces trois états que si on les mettait en relation avec l’Amour de Dieu. L’Amour ne rejette pas mais il ne s’impose pas non plus, il se propose. C’est mon attitude face à ce feu de l’amour qui est décisif : soit je l’accepte, soit je le refuse (c’est le combat dont je parlais plus haut).

2.2 Le paradis, un brasier d’amour

D’ailleurs, curieusement, on emploie le même mot pour décrire l’enfer et le paradis : le feu de l’enfer devient le brasier de l’amour de Dieu au paradis. « Je suis venu apporter un feu sur la terre, dit Jésus, et comme je voudrais qu’il brûle déjà (Luc 12, 49) ». Ce feu fait mal,  tant que nous ne sommes pas comme lui.

Ainsi la main, si elle est de chair, est brulée par le feu, mais si ma main était de feu, le feu ne pourrait pas lui faire de mal ; au contraire, elle serait comme ravivée, dans son être même, par le feu.

Il en est de même pour mon âme et pour tout mon être : Si mon âme n’est qu’amour (le paradis), elle ne peut souffrir du contact avec l’Amour mais ne peut que s’en réjouir et s’en nourrir. Si elle est partagée entre l’amour et le péché, elle souffre du contact avec l’amour pur, qui brûle en elle ce qui n’est pas amour, qui la purifie du péché, mais en même temps, puisqu’elle a déjà appris à aimer, l’Amour l’attire irrésistiblement. C’est la condition des âmes du purgatoire et notre condition ici-bas. L’amour est exigeant parce qu’il purifie notre imperfection, il peut même être difficile, voire pénible à vivre. Ainsi, pour me mettre au service de l’autre, je dois sortir de moi-même, me lever, dépasser mon égoïsme, renoncer à mes projets, me donner ; ce qu’il y a encore en moi de péché le refuse, et parfois même se révolte, au point de haïr l’Amour.

C’est pour cette raison que le Christ dérange. Il dérange nos habitudes égoïstes et nous réveille de notre torpeur, de notre mort. Si je réponds à l’appel que Dieu m’adresse à chaque instant de servir mon frère, je vais certes souffrir, me purifier, contrarier mes passions égoïstes mais je découvrirai aussi une joie nouvelle, celle d’aimer, même si parfois cela fait mal. Mais plus j’aime, plus j’ai envie d’aimer, parce que plus j’aime, plus je me sens devenir meilleur et plus je suis capable d’aimer davantage. A chaque acte d’amour que je pose, ma capacité d’aimer augmente, mon cœur se dilate, s’oublie dans une nouvelle disponibilité qui le transfigure en le transformant. Tout mon être devient feu, tout mon être se transforme en ce feu de l’Amour de Dieu qui ne peut que grandir et me faire grandir, puisqu’il est infini.

Ainsi mon cœur devient feu d’amour, à mesure qu’il aime, et lorsqu’il n’y a plus en lui rien qui ne fasse obstacle à l’amour, lorsqu’il n’y a plus la froideur du péché, alors cet amour brulant ne me fait plus souffrir, et le feu devient Lumière (le témoignage de ces « âmes de feu » que sont les saints, mère Térésa par exemple, est un témoignage éloquent de ce que peut faire le feu de l’Amour !). Je suis brûlé au contact du feu parce que je ne suis pas encore feu, mais si j’étais de feu, je ne souffrirais plus du contact lui. Le paradis c’est « vivre d’amour ».

2.3 L’enfer

A l’inverse l’enfer, c’est avoir perdu jusqu’à la dernière étincelle d’amour. Sans amour en moi, je ne peux plus comprendre l’amour, je ne peux plus l’accepter, je ne peux qu’être brûlé, agressé par lui. Rien en moi ne lui correspond. J’aime si peu que l’Amour m’est insupportable ! Donc, rien en moi ne peut se réjouir du contact avec l’Amour. L’enfer n’est pas un lieu, c’est un état : l’état de froideur absolue, d’indifférence totale à l’autre, de repli définitif sur soi. On pourrait reprendre la comparaison en utilisant le rapport entre la lumière et les ténèbres : si nous sommes ténèbres, la lumière nous repousse, mais elle nous attire si nous lui ressemblons déjà (« Et la vie était la lumière des hommes et la lumière luit dans les ténèbres…et le Verbe était la lumière véritable qui éclaire tout homme…et le monde ne l’a pas reconnu » Jn 1).

Pour celui qui n’est plus capable d’aimer, l’enfer c’est les autres. Dans Huis Clos, Sartre avait raison : il décrivait l’amour comme un enfer pour celui qui ne sait plus aimer. Son erreur, c’est de condamner tous les hommes à cet enfer en refusant d’accepter que l’amour soit possible.

Effectivement, si je me regarde moi-même, je ne vois pas comment l’amour est possible ; mais si je regarde l’autre pour lui-même, si je me tourne vers l’autre sans vouloir ni le posséder, ni l’utiliser mais seulement le servir alors je me découvre capable d’aimer, et je ressemble à Dieu lui-même. La société actuelle a bien du mal à comprendre cela, parce qu’elle est trop riche et trop autosuffisante (et donc très « suffisante » !). Elle n’est plus capable d’avoir besoin, donc elle n’est plus capable de donner. La tentation de l’autonomie et sa prétention démoniaque à vouloir tout contrôler, tout gérer, lui a fait perdre son âme, et avec son âme, sa joie. Ici la joie est partout présente parce qu’on ne peut vivre sans l’autre, sans l’Autre et son amour. »

2.4 Le feu dans les Ecritures

Cette réflexion malgache se nourrit de multiples textes de la sainte Ecriture. J’ai cité Lc 12 mais nous pourrions ajouter l’épisode du buisson ardent où il est dit que le buisson était embrasé mais ne se consumait pas. (Ex 3) C’est vraiment une image de ce feu éternel qu’est Dieu, éternel parce qu’il ne se consume pas, et brulant d’amour parce que l’amour est le nom de Dieu.

Dt 4, 24  « Yahvé ton Dieu est un feu dévorant; Is 33, 14 « qui de nous tiendra devant un feu dévorant, qui de nous tiendra devant des brasiers éternel; He 12, 29 Notre Dieu est un feu consumant.

Pour préparer cette conférence je suis allé lire l’article du vocabulaire de théologie biblique sur le feu et voici ce que j’y ai lu : « Dès l’élection d’Abraham, le signe du feu resplendit dans l’histoire des relations de Dieu avec son peuple (gn15, 17)…C’est toujours au cours d’un dialogue personnel que le Seigneur se manifeste « en forme de feu ». Les théophanies : « Dans l’expérience fondamentale du peuple au désert, le feu présente la sainteté divine sous son double aspect, attirant et redoutable. »

Les lèvres d’Isaïe ont été purifiées par un charbon de feu. Théophanie du Sinaï, nuée lumineuse de l’Exode et surtout l’épisode des enfants dans la fournaise qui ne sont pas brulés par le feu. Les holocaustes rappellent cette présence divine : holocauste d’Isaac et holocauste d’animaux dans le temple. Moïse tamise par un voile l’éclat du feu divin qui resplendit sur son visage mais il brûle par le feu ce péché qu’est le veau d’or. La colère de Dieu est décrite par les prophètes comme un feu. En Jérémie, Dieu éprouve au creuset du feu (Jr.6, 29)  Il porte au cœur un feu dévorant qu’il ne peut contenir (Jr 20, 9) Sa parole aussi est un feu (Jr23, 29). En Za 12 6, les chefs de Juda deviennent des brasiers de feu qui dévorent l’impiété.

Que faut-il retenir de ces quelques réflexions sur le purgatoire, le ciel et l’enfer ? Que Dieu est amour et que finalement l’au-delà, le ciel, c’est Dieu amour pur, c’est pour cela que le ciel n’est ni un temps, ni un lieu, ni même un état. Le ciel pour nous est une personne avec laquelle nous appelé à vivre en communion. La communion des saints définit merveilleusement bien notre notion de paradis. C’est pour cela que la Bible emploie tant les images familiales pour le décrire, les repas familiaux avec ses plats succulents, ses viandes grasses et ses vins décantés.

Mais pour aller jusqu’au bout et ne pas éluder l’un des aspects les plus importants et les plus difficiles à comprendre du credo, je voudrais aborder pour finir, la question de la résurrection des corps.

3. La Résurrection des corps

Pourquoi donc croyons-nous en la résurrection des corps ?

Dans l’Evangile, cet article de foi trouve sa justification dans le mystère de l’Ascension. Jésus monte avec son corps dans le ciel et nous affirmons dans la foi qu’il reviendra dans la gloire pour juger les vivants et les morts. Il reviendra pour nous entraîner avec lui dans cette résurrection totale et définitive, il nous fera participer à son propre mystère.

3.1 La méditation du Catéchisme de l’Église Catholique sur cet article du CREDO

Je voudrais revenir à nouveau au catéchisme de l’Eglise catholique et en particulier à la méditation que fait le catéchisme de l’article du credo qui concerne la résurrection de la chair ; vous savez, cet article que nous disons du bout des lèvres, sans y croire vraiment ou en nous imaginant qu’il veut dire quelque chose de très spirituel, de très symbolique qui nous échappe. En tout cas vous savez bien que nos corps, ceux avec lesquels nous nous mouvons, nous agissons, nous parlons…ceux-là, ils se décomposeront et qu’il n’est pas question que tout d’un coup, au retour du Christ, comme dans la vision d’Ezéchiel, vos chairs se reforment, vos nerfs et vos vaisseaux se répandent autour de vos os, s’il en reste, vos yeux réapparaissent et votre cœur se remette à battre, et je ne parle pas du cerveau !

Vous avez à la fois raison et tort.

Nous savons bien que si nos corps ressuscitent, c’est sous un aspect et avec des propriétés qui nous échappent. Cependant il est très important de maintenir cet article du credo auxquels les chrétiens sont attachés depuis les tous débuts du christianisme. Pourquoi est-ce si important de croire en la résurrection de la chair ?

3.2 Dans la mort, que devient l’homme ?

Commençons par relire ensemble l’article du catéchisme de l’Eglise Catholique qui traite de cette question.

C’est le numéro 997. « Qu’est-ce que ressusciter ? Dans la mort, séparation de l’âme et du corps, le corps de l’homme tombe dans la corruption, alors que son âme va à la rencontre de Dieu, tout en demeurant en attente d’être réunie à son corps glorifié. Dieu dans sa toute-puissance rendra définitivement la vie incorruptible à nos corps en les unissant à nos âmes, par la vertu de la résurrection de Jésus. »

Retenons tout d’abord que la mort, c’est la séparation de l’âme et du corps. Mais Jésus est venu nous délivrer de la mort, donc de cette séparation diabolique (je vous rappelle qu’en grec, diabolos signifie celui qui sépare !)

Ainsi la vie, pour l’homme et la femme, c’est cette union de l’âme et du corps rendue possible par la résurrection de Jésus qui, après avoir vécu cette séparation, cette mort, pendant trois jours, a retrouvé la vraie vie et s’est manifesté avec son corps aux apôtres, à la Vierge Marie et à plus de 500 frères à la fois nous dit saint Paul dans 1Co 15.

Croire en la résurrection de la chair, c’est avant tout affirmer que l’homme est cette union formidable de l’âme et du corps, qu’il ne peut se comprendre uniquement comme corps ou uniquement comme âme. Il n’est ni un animal ni un ange !

3.3 Qu’est-ce que la personne humaine ?

Donc s’il vit pour toujours ce ne peut être qu’en tant que personne humaine, donc en tant qu’il est cœur et chair (vision biblique), matière et esprit (vision grecque), corps et âme (dans la théologie latine), sinon il n’est tout simplement plus humain.

Cette affirmation de ce qu’est la personne humaine a des conséquences morales. Ainsi la morale chrétienne est fondée en partie sur le fait que tout ce qui touche mon corps touche mon âme et tout ce qui touche mon âme touche mon corps.

Comment dire son amour à une autre personne sinon par des paroles, des gestes, des actions… Croire que l’on peut exprimer quelque chose sans utiliser d’une manière ou d’une autre son corps, c’est se prendre pour des anges et aller au-devant de bien des difficultés (qui veut faire l’ange fait la bête !) Comment se réalisera cette union de l’âme et du corps dans la vie éternelle, c’est plus difficile à imaginer.

3.4 Un corps glorieux ?

La théologie, pour éviter de limiter la chair à la chère (fraîche !) utilise la notion de corps glorieux. Mais concernant les caractéristiques physiques de ce corps glorieux, le débat reste ouvert. Certains considèrent trop vite, à partir d’une lecture trop rapide de l’Evangile, que notre corps glorieux sera très différent de notre corps d’ici-bas.

Ce n’est pas si sûr. Dans l’Evangile, en effet, Marie Madeleine, puis les apôtres, ne reconnaissent pas Jésus mais la raison n’est pas liée à l’apparence du corps de Jésus mais à l’attitude des disciples. Marie Madeleine et repliée sur elle-même, elle ne regarde même pas Jésus puisque l’Evangile nous dit qu’elle se retourne à l’appel de Jésus. Elle est trop repliée sur sa souffrance, sur ses émotions pour voir la réalité telle qu’elle est. Elle est dans l’interprétation et regarde la réalité telle qu’elle-même veut bien la voir.

C’est pareil pour les apôtres qui sont fatigués d’avoir jeté les filets toute la nuit, qui sont agacés de recevoir ce qu’ils considèrent comme des reproches par cet homme qui se tient sur le rivage, et dans le fond ils sont encore dans leur souffrance du vendredi saint et dans leur honte d’avoir trahi leur maître. Ils sont incapables de voir au-delà d’eux-mêmes, tout comme les disciples d’Emmaüs d’ailleurs qui tournent le dos à la vérité de leur vie, persuadés que tout est perdu.

Ils n’arrivent pas à reconnaître Jésus, pas parce que Jésus a changé, mais parce que eux ont changé. Revenons à notre article du credo sur la résurrection de la chair.

Pour nous, cet article de foi est un garde-fou très nécessaire, en particulier pour combattre ceux qui sont tentés par ce qu’on peut appeler le « spiritualisme » où le corps est tellement mis au second plan qu’on se demande même s’il n’est pas illusoire. Dans l’Evangile, le corps est très présent, en particulier le corps de Jésus qui marche, qui bénit, qui touche, qui embrasse, qui parle, qui souffre.

Ces mentions du corps de Jésus et à travers ce corps de son activité nous rappellent que l’amour, ce n’est pas une idée, ce ne sont pas de belles pensées ou de belles intentions, c’est un engagement de tout l’être.

3.5 La sainteté

Plus mon corps est uni à mon âme, plus je suis saint, comme Jésus est saint.

La sainteté, c’est lorsque toutes mes intentions généreuses se transforment aussitôt en action. La lettre aux Romains définit le péché de la manière suivante : « Je ne réalise pas le bien que je voudrais mais je fais le mal que je ne voudrais pas ». Il y a une séparation entre mon intention, ou en entre ce que je crois être bon et ce que je fais réellement.

Dans la vie éternelle, il n’y aura plus cette lutte entre le corps et l’âme, entre ce que je veux faire et ce que je fais ; nous serons « unifiés », comme Jésus, comme la Vierge Marie dont nous célébrons le 15 Août cette belle unité de l’âme et du corps qui caractérise notre humanité. L’homme parfait, c’est celui qui n’a pas de péché, qui n’a en lui aucune séparation, aucune contradiction, aucun mensonge, c’est l’homme dans la plénitude de son être, c’est Jésus et par participation, sa sainte mère. Si nous voulons vivre en vérité et en plénitude, ressemblons à Jésus et nous n’aurons plus rien à craindre de la mort, et nous retrouvons ce qui nous caractérise, cette belle union de l’âme et du corps grâce à laquelle nous nous aimons en vérité, nous nous reconnaissons. Grâce à laquelle nous sommes ce que nous sommes, tout simplement !

Ici-bas, comme dans l’au-delà je suis Emmanuel, j’ai tel visage, sur lequel sont mystérieusement inscrites les expériences que j’ai vécues, sous la forme des rides du sourire ou de celles de l’inquiétude. Mère Térésa était de plus en plus belle à mesure qu’elle vieillissait parce que son corps était de plus en plus le reflet de son âme. Nous ne ressusciterons pas sous la forme d’une fleur ou d’un animal, ni même d’un ange parce que nous sommes des personnes humaines, douées de liberté et aimées de Dieu.

A propos de liberté et pour insister sur le fait que la vie éternelle est déjà commencée, je voudrais vous dire qu’il est tout à fait faux, dans une vision chrétienne de dire que les morts nous regardent du haut du ciel. Il est parfois même destructeur d’affirmer de telles choses. Nous sommes des êtres libres et cette liberté nous est offerte comme un cadeau de Dieu, pour aimer. Donc si je ne veux pas que mon frère décédé me regarde, m’entende et sache ce que je fais, il ne me verra pas. Le ciel n’est pas un lieu où se trouvent les défunts et à partir duquel ils observent la terre comme des big brothers curieux et inquisiteurs.

Dieu nous voit et nous entend pourrait-on dire, mais il est Dieu.

Les autres, même au ciel, restent des créatures. Ils n’ont pas tous les pouvoirs, et surtout pas celui de nous embêter. Tout ce qu’une créature peut faire, c’est parce que Dieu le lui permet, et il respecte toujours notre liberté.

Vous pouvez partager avec vos parents défunts des choses que vous avez choisi de leur partager, comme vous le feriez s’ils étaient encore vivants, en leur parlant, en leur écrivant, en les regardant. Finalement les modalités de la relation ont changé, pas la relation elle-même.

Dire que les morts nous regardent malgré nous est faux et peut générer des troubles. Notre vision un peu trop « fleur bleue » et affective du ciel est souvent, parce non conforme à la vérité, au détriment de la vraie relation, donc de la charité. Nous pouvons prier pour eux, nous pouvons leur offrir des « offrandes spirituelles » et la plus belle d’entre elles est la célébration de l’Eucharistie.

Conclusion

Pour conclure, il me semble important de dire que le message pastoral que nous devons transmettre à ceux que nous rencontrerons c’est que Dieu est amour, que l’au-delà, pour le chrétien, c’est la présence de Dieu qui surgit dès ici-bas dans nos vies, sous la forme d’actes de charité qui ont une valeur d’éternité.

Tout ce qui nous conduit à la vie éternelle sont autant de moyens que Dieu utilise pour nous rendre heureux, pour nous dire qu’il nous aime et pour nous permettre d’atteindre le but.

Et le plus grand moyen qu’il nous offre, le plus beau, c’est le mystère de sa miséricorde que nous pouvons recevoir à loisir pour que nous retrouvions le chemin de cette plénitude d’amour et de vie qu’est la sainte Trinité.

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Eglise à Lyon n°71 avril 2024

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