Interview avec Agnès Winter
Après avoir illuminé le Christ Rédempteur de Rio, Notre-Dame de Paris ou le Rockefeller Center à New York, Agnès Winter vient de transfigurer la basilique Saint-Martin d’Ainay en hommage aux populations déplacées de la plaine de Ninive.
Elle aurait dû être pédiatre, mais son amour de l’art l’a détournée de cette voie. A côté de ses études de médecine, Agnès Winter suit les cours des Beaux-Arts de Paris. Après quelques années d’exercice de la médecine, elle se met à la peinture et organise des manifestations culturelles et musicales.
Depuis une dizaine d’années, l’artiste réalise des projets artistiques pluridisciplinaires, souvent en collaboration avec des étudiants, dans différents pays. En 2003, elle illumine ainsi le Christ Rédempteur qui surmonte la baie de Rio. Deux ans plus tard, elle projette la photo de cette illumination sur la façade de Notre-Dame de Paris lors de l’année du Brésil en France. En 2007, elle crée Monument to Smile, une projection de plusieurs centaines de visages souriants sur le Rockefeller Center, à New York. Les thèmes du visage et de la diversité seront une source d’inspiration pour plusieurs autres projections à Paris, Toronto et Rouen. En 2014, elle s’investit dans un projet paroissial à Gagny, en Seine-Saint-Denis sur le thème de la famille.
L’idée est née dans la suite de l’opération Erbilight, qui, en décembre 2014, a conduit une délégation lyonnaise avec le cardinal Barbarin à Erbil, capitale du Kurdistan irakien. L’objectif de ce voyage était de soutenir les chrétiens d’Irak, réfugiés là depuis leur fuite de Mossoul devant l’avancée de Daech, en célébrant avec eux le 8 décembre, fête chère au cœur des Lyonnais, dans le cadre du jumelage qui liait depuis quelques mois les diocèses de Mossoul et de Lyon. Comment mieux faire connaître l’histoire de ce pays et continuer de manifester notre solidarité avec les populations déplacées de la plaine de Ninive ? C’est dans ce cadre que j’ai proposé de réaliser une projection sur un monument de Lyon.
C’est à la fois une plongée dans l’histoire plurimillénaire de la Mésopotamie, berceau de notre civilisation, terre qui a vu éclore l’écriture et où s’enracine la descendance d’Abraham, et un hommage aux Irakiens d’aujourd’hui – chrétiens ou non – qui souffrent de la guerre, du fanatisme religieux, de l’exil. Pour évoquer les grandes épopées qui ont marqué cette terre, j’ai eu la chance de pouvoir accéder à des fonds photographiques uniques, comme celui des dominicains de Mossoul ou celui de l’Ecole biblique et archéologique de Jérusalem. Les visages projetés sur la façade de l’église Saint-Martin sont ceux d’Irakiens déplacés de tous âges : par leurs sourires et leur courage, ils nous offrent leur foi et leur espérance. Pour la bande son, j’ai utilisé des extraits de musiques et de chants orientaux. On peut entendre aussi le Je vous salue, Marie poignant chanté en soureth (dialecte araméen, la langue du Christ), par le père Michaeel Najeeb, de la mission dominicaine de Mossoul.
Il fait écho à mon premier projet artistique pluridisciplinaire, intitulé Cor Quo Vado, un hommage européen, que j’ai conçu en 2003, alors que j’étais en résidence d’artiste à Rio de Janeiro. A l’époque, les Etats-Unis s’apprêtaient à envahir l’Irak de Saddam Hussein – l’Irak, déjà. C’est alors que j’ai eu l’idée d’illuminer en bleu le Christ rédempteur qui ouvre ses bras au sommet du Corcovado. Je souhaitais qu’il lance au monde entier un appel à la paix. J’ai eu la grâce de me voir accordée cette autorisation par le cardinal Scheid, l’archevêque de Rio de l’époque, et c’est ainsi que, les 11 et 12 octobre 2003, des millions de personnes ont pu voir apparaître dans la nuit cette statue si symbolique éclairée en bleu. C’était la première fois qu’un nouvel éclairage de la statue était réalisé. Depuis, le Christ a été illuminé de plusieurs couleurs. Deux ans plus tard, j’ai projeté l’image monumentale de ce même Christ rédempteur sur la façade de la cathédrale Notre-Dame de Paris à l’occasion de l’année du Brésil en France. Œuvre commune d’un ingénieur brésilien et d’un sculpteur français, la statue du Corcovado n’était-elle pas un beau symbole de l’amitié entre les peuples et de la paix ?
J’utilise l’image monumentale pour la force de son impact. Vous, les Lyonnais, êtes familiers de ce type de spectacle avec la fête des Lumières, qui propose chaque année de formidables illuminations de monuments. Mais les projections sur les cathédrales ou les églises sont rarement le reflet de la foi chrétienne qui s’y vit. C’est dommage, car ce procédé offre un moyen d’atteindre le cœur d’un nombre important de personnes. La projection permet de partager la joie de l’Evangile, de témoigner de la diversité des vies qui aiment Jésus et d’établir une communion à travers la beauté.
Mais bien sûr ! C’est ce que nous avons montré en réalisant, en 2014, le son et lumière Famille, je vous aime, projeté sur la façade de l’église de mon baptême, l’église Saint-Germain de Gagny, en Seine- Saint-Denis. Cette projection est venue clore un projet conduit par un groupe de jeunes adultes et une année de réflexion pastorale et œcuménique autour de la famille. Au passage, on a été bien inspirés : c’était juste avant l’ouverture du synode sur la famille convoqué par le pape François ! Le projet a été financé par les paroissiens et il a été apprécié par de nombreux habitants de Gagny, touchés par la façon dont le thème avait été traité. Bien sûr, il y a un peu de technique derrière un son et lumière, mais c’est à la portée d’une paroisse !
Propos recueillis par Y.-M. D.