La dette est toujours là, omniprésente, Pauline entreprend une nouvelle tournée dans l’Ouest. Marie Dubouis nous laisse imaginer ce périple. “Dans un grand sac de toile que je portais sur le dos se trouvaient deux coussins et une couverture avec lesquels je tâchais de faire une couchette à ma pauvre mère pour la nuit, puis nos hardes, les livres et deux médaillons de fonte qu’elle aimait à montrer pour prouver la belle qualité du minerai de Notre-Dame des Anges. Dans un sac noir que je plaçais sur mon bras gauche je mettais les papiers d’affaires, des médailles, des croix, des chapelets que notre mère distribuait à ses compagnons de route et soutenais du bras droit notre mère qui, très fatiguée, s’appuyait de tout son poids. Je me désolais des privations et des fatigues qu’elle acceptait, elle, avec gaité comme si elle n’en eu pas souffert.”
Pauline est forte comme en témoigne cet aveu : “Quoique le dernier aille d’un bout à l’autre de la France répétant tous les mensonges que renferment les trésors de ma malice, je suis encore dans la barque si furieusement ballotée par la tempête mais non encore submergée.”
Au curé d’Ars, Pauline confie : “Je suis toujours étendue tout entière sur la croix, je combats avec peine”. Le curé d’Ars lui répond : “Ma soeur, Dieu a permis cette grande épreuve et votre foi l’a acceptée. Attendez le ciel pour comprendre les desseins de notre Maître, toujours si bon malgré ses rigueurs apparentes. Là-haut il nous dira ses pourquoi, et alors bien-sûr, nous lui dirons de tout notre coeur : merci.”
Pauline sillonne toute la France, ses forces ne lui permettent plus de continuer. Elle charge Julia Maurin de partir quêter avec un mémoire décrivant l’oeuvre des ouvriers.
Cette dernière rencontre le comte de Chambord qui lui promet de l’aider, puis Frédéric Guillaume empereur de Prusse qui lui dit que tout protestant qu’il fut, il la soutient et lui remet 1500 francs et un laissez-passer pour voyager gratuitement. Ensuite à Vienne, Julia rend visite à l’empereur François Joseph qui fait un don de 500 francs. Elle part en Angleterre où elle est accueillie par Mgr Wiseman, archevêque de Westminster, par Mgr Handrew, par Mgr Gillis à Edimbourg, que Pauline avait aidé financièrement à fonder un couvent d’Ursulines. L’archevêque de Dublin organise une collecte. John Henri Newman écrit : “Cette emprise est au-dessus de mes éloges, le nom de Mademoiselle Jaricot est à lui seul un appel direct et tout puissant à l’intérêt et au concours de tous les catholiques de la Terre.”
Le Vicomte Stuart écrit une lettre de soutien et offre son aumône.
Les quêtes s’achèvent, c’est lé.puisement. Le 17 janvier 1851, Pauline confie à Mère Saint-Laurent : “Je suis comme une personne qui serait sur un puits de 300 pieds, suspendue par un seul cheveu et cela depuis cinq ans.”
Ce rêve ouvrier s’envole avec la vente de Rustrel le 12 mars 1852. Une partie seulement de la dette va être soldée avec la vente de l’usine. A Lorette, c’est la misère, les filles se découragent Il n’y a plus d’activit. rentable, il n’y a plus d’avenir, elles partent les unes après les autres, il n’en reste que quatre : “Je suis bergère sans brebis” dit-elle. Face à cette situation, elle ajoute : “le personnel de la maison, réduit à quatre personnes exige comme pauvreté que les prières et le service soient simplifiés le plus possible. Nous ne pouvons plus faire de feu cette année si ce n’est pour les chauffe-pieds destinés à chacune. La brièveté des jours réduit le travail à presque rien et l’huile pour l’éclairage est d’une chèreté telle que nous sommes obligées de réduire aussi le nombre de lampes à la seule lumière de la chapelle et à celle de la cuisine. J’ai pensé alors que les prières qui se faisaient le jour pourraient être reportées durant cette saison de misère au coucher du soleil jusqu’à la fin de la soirée.”
Malgré ce dénouement, voici le témoignage de l’honnêteté. poussé à l’extrême. Une amie de Pauline lui fait livrer 400 kg de charbon pour passer l’hiver. Quelques temps après elle s’informe sur la situation et apprend qu’il ne reste plus de charbon, il a été vendu pour solder les dettes ! C’est à peine croyable !
Le 25 février 1853 Pauline est inscrite sur la liste des indigents de Saint-Just. En 1855, une personne lui donne quelques francs pour ses bonnes oeuvres. Elle lui répond : “Monsieur je ne fais plus de bonnes oeuvres, si vous le permettez ces 6 francs me procureront du pain !” C’est vraiment la misère.
Pour faire face à cette situation, elle accepte de vendre à des brocanteurs le mobilier, pièce par pièce ainsi que les objets d’art. C’est le dénuement total. C’est la misère qui règne et les dettes qui demeurent. Il faut vendre Lorette, on en affiche la vente le 28 août 1852. Suite à un recours, on lui accorde 15 mois de répit. La Providence intervient pour la sauver du naufrage. On suggère à Pauline la construction d’un escalier dans sa propriété, escalier qui conduirait les fidèles et les pèlerins directement à la chapelle de Fourvière, moyennant 5 centimes. L’ouvrage se termine pour la fête de l’Immaculée Conception le 8 décembre 1852, jour de l’inauguration de la Vierge dorée. Il y a plus de 1000 personnes qui montent à Fourvière, et ce tous les jours.
Le passage lui rapporte 15 000 francs ; c’est une garantie pour solder ses dettes et éviter la vente de Lorette. Le 5 novembre 1853 Pauline écrit : “Ma pauvre barque toute agitée depuis 1845 semble moins près du naufrage. Je suis comme certaine que la maison et le chemin ne sont plus expropriés.”
Une voisine de la propriété de Lorette mal inspirée, flaire une source de revenu et projette de faire construire à son profit un escalier plus proche de la montée des Chazeaux, donc plus aisé pour les pèlerins. Pour que l’escalier débouche sur l’esplanade, il faut franchir un mur qui appartient à Pauline. Malgré la justice qui condamne un tel projet, on viole la propriété en 1856, pendant que Pauline est à Rome. Elle écrit à Mère Saint Laurent : “Voici mon dernier mot aux propositions qui me sont faites d’ouvrir un mur pour que le chemin projeté et concurrent puisse aboutir à Fourvière. Si l’on veut passer et que l’on se charge de mes dettes, j’abandonne tout, même Lorette. Je me retirerai contente d’avoir accompli cet acte de justice. Mais sans cela, je compte sur Dieu et ne consens à rien.”
Guy Ledentu
Source : Eglise à Lyon, n°50, avril 2022, p. 18-19