Pauline a été trompée dans l’affaire de Rustrel. Elle est désormais très méfiante face à la duplicité de ses interlocuteurs.
La commission de Fourvière créée le 7 mars 1853, avait pour but l’édification d’un sanctuaire pour augmenter la capacité d’accueil des pèlerins, la chapelle étant devenue trop petite. Pour cela, il faut acquérir la propriété qui jouxte la chapelle côté nord, propriété qui appartient à Pauline. On lui propose l’achat à prix modique mais elle refuse, car le rapport ne couvrirait pas ses dettes : elle pense toujours à privilégier les prêteurs qui lui avaient fait entière confiance. Chat échaudé craint l’eau froide.
Lors de son dernier voyage à Rome en 1856 pour rencontrer Pie IX, elle se plaint des imputations de malveillances, de mesures vexatoires à son égard et surtout du refus de toute aide de la part de l’œuvre de la Propagation de la foi dont elle est la fondatrice. En exemple on lui rapporte qu’au cours d’une réunion, des propos blessants ont été prononcés contre elle ; elle même les transcrits dans une adresse à ses ennemis.
« – Il faut écraser Mademoiselle Jaricot.
– Messieurs, laissez donc mourir en paix cette pauvre fille et attendez pour marcher sur elle qu’elle soit couchée dans la tombe.
– Il faut qu’elle périsse et que tout ce qu’elle a fait soit détruit… Elle a trop fait de folies, il faut en finir.
– Si c’est réellement à Mademoiselle Jaricot que vous en voulez, laissez au moins à ses amis malheureux la ressource du chemin qui a excité tant de convoitises. De plus, sachez qu’il n’est pas nécessaire que vous fassiez beaucoup d’efforts pour écraser la pauvre fourmi nommée Pauline-Marie Jaricot ».
Voilà sans doute le cri de la souffrance qu’elle a dû confier au pape. Pie IX écrit alors au cardinal de Benalete une supplique pour qu’il demande au Conseil de la Propagation de la foi à Lyon de faire en toute justice pour effacer la dette de Rustrel… Est-ce possible ? Le conseil refusera toujours sur les mêmes motifs. C’est le troisième refus ! comme la troisième chute de Jésus avant d’arriver au calvaire.
Autre détail révélant une âme de sainte : Pour payer son voyage à Rome, une personne lui remet 300 francs. Avant le départ, Maria lui demande de l’argent pour régler les frais… Il ne reste alors que 100 francs, le reste ayant déjà été donné à un petit prêteur, et d’ajouter « la Providence y pourvoira ». Et elle y a pourvu.
Tout a été entrepris pour sauver l’oeuvre des ouvriers de Lorette, il ne reste plus qu’à s’en remettre entre les mains de Dieu comme en témoigne cet acte d’offrande retrouvé dans le scapulaire de Pauline à sa mort. Voici quelques extraits de cet abandon total :
« Mon espérance est en Jésus »
« Mon seul trésor est la croix »
« La part qui m’est échue est excellente… »
« Je bénirai le Seigneur en tout temps… »
« Je vous adore volonté de mon Dieu… »
« Vos voies sont inconnues mais conduisent à la vie. »
« Perle précieuse de l’Évangile que je perde tout pour vous posséder ».
« Que m’importe donc […] que vous m’ôtiez les biens terrestres, la réputation, l’honneur, la santé, la vie, que vous me fassiez descendre par l’humiliation jusque dans le puits de l’abîme le plus profond, que m’importe que je rencontre dans ce puits non l’eau mais la boue, que je sois plongée jusqu’au-dessus de la tête si dans cet abîme je puis trouver le feu caché votre céleste amour »
« Oh ! Mille fois heureuse serai-je si je peux dire en mourant pour vous et pour mes frères : c’est pour cela que je suis née ma tâche est accomplie »
Pauline-Marie Jaricot 28 août 1856
Pauline en toute lucidité, se prépare à quitter cette terre où elle a oeuvré uniquement pour la gloire de Dieu. Elle arrive au Golgotha dépouillée de tout mais riche d’un habit de sainteté tissé pendant plus de 60 ans au bénéfice de la mission par l’oeuvre de la Propagation de la foi, celle du rosaire vivant et celle des ouvriers de Rustrel.
Pauline est prévenue de sa fin. Le 3 décembre, elle communie et reçoit l’extrême onction pour la troisième fois. À Maria elle dit : « Ma soeur, récitons le Te Deum et le Magnificat pour remercier le bon Dieu ».
Le 15 décembre elle rédige une « note d’objets » attestant de la propriété de ses filles de leur mobilier, de leur linge « afin de ne pas être vendus pour éponger ses dettes » : quelle délicatesse !
Le 1er janvier « Mes bonnes soeurs, appliquez-vous toujours à faire la volonté de Dieu en toute chose ». Elle bénit ses soeurs : « Que la croix de Jésus vous garde et vous protège contre tous vos ennemis visibles et invisibles ». Au prêtre qui l’assiste : « Oui, mon Père, je pardonne de tout mon coeur et sans exception à toutes les personnes qui m’ont fait de la peine, et je demande au bon Dieu d’avoir dans le ciel un droit particulier sur leur salut ».
À une visiteuse, elle confie : « Irai-je au ciel ? Je n’en sais rien. Ce que je sais, c’est que je suis au bon Dieu. Il me mettra où il voudra, je suis entre ses mains ».
À Maria : « Oui, c’est inconcevable ce que je souffre ! »
Le 8 janvier elle est harcelée par le démon, on l’entend crier : « Sale bête ! Retire-toi ! Moi je crois et j’aime. Toi, tu n’aimeras jamais ».
Ses derniers mots : « Ô oui, Marie. Mère, ô ma mère, je suis toute à vous ».
Elle expire le sourire aux lèvres à l’aube du 8 janvier 1862 à 7h du matin.
Maria, quittant Lorette, emporte le coeur de Pauline conservé actuellement à Saint-Polycarpe. Ses restes ont été transférés en 1935 à Saint-Nizier, sa première paroisse.
Une vie si riche ne peut être qu’évoquée. Pauline emporte. avec elle le mystère de toute vie humaine, vie qui n’a de prix qu’aux yeux de Dieu, qu’à la mesure de son amour comme la Croix qui a été « l’artifice de Dieu pour montrer son amour et le Saint-Esprit n’a qu’un rôle, nous révéler cet amour infini pour chacun de nous » Joseph Belloni, sculpteur de la basilique de Fourvière.
Guy Ledentu, d’après la biographie de Pauline Jaricot écrite par Julia Maurin
Source : Eglise à Lyon, n°50, mai 2022, p. 18-19