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L’occasion d’un examen de conscience

L’occasion d’un examen de conscience

De retour du Vatican où il a été reçu par le pape François vendredi matin, le cardinal Philippe Barbarin a répondu aux questions du Figaro. Voici le texte intégral de l’entretien du 21 mai 2016.

– Vous avez été reçu, vendredi, par le pape François qui dans une interview à La Croix, ce mardi, vous a renouvelé un soutien total. Vous a-t-il demandé quelque chose de spécifique dans la conduite de ces affaires ?

Il a d’abord pris le temps d’écouter attentivement. Il semblait très informé de la situation. Il m’a redit sa confiance, sa prière et sa conviction intime : il n’y a pas de place dans le ministère pour ceux qui abusent des enfants, et ce, de façon imprescriptible. La tolérance zéro trouve son origine dans l’Évangile (Mc 9, 42). Il me conseille d’attendre paisiblement que la justice ait accompli sa mission. Nous avons parlé ensuite d’autres sujets.

– Une démission est désormais écartée mais que feriez-vous si la justice vous mettait en cause ?

Si la justice mettait en lumière un grave manquement dans la conduite de ma mission, ce serait effectivement une perspective à envisager. Pour l’heure, ce ne serait pas responsable, ce serait même contraire à mon devoir : on ne quitte pas le navire en pleine tempête !

– Le fait que le pape ne mentionne pas les victimes les a profondément scandalisés. Ne sont-elles pas, une nouvelle fois, les laissés pour compte ?

Non. Le pape répondait à une question à mon sujet. Mais pour qui le suit, ses paroles et ses gestes à l’égard des victimes sont d’une clarté indiscutable.

– Sur ce point l’association « la parole libérée » qui regroupe la plupart des victimes de ces prêtres vous a accusé d’avoir « manqué de compassion » pour ces jeunes devenus aujourd’hui des adultes, que leur répondez-vous ?

Je suis très peiné par cette accusation. Certaines victimes du P. Preynat ont demandé à me voir et m’ont parlé avec confiance, d’autres ont refusé les rendez-vous que je proposais. 20 et 30 ans après les faits, leur blessure est toujours vive. Le premier, que j’ai rencontré en novembre 2014 m’a dit sa colère de n’avoir pas porté plainte avant ses 38 ans. Il a accepté d’écrire son témoignage que j’ai aussitôt envoyé à Rome. C’est ce qui m’a permis d’obtenir des consignes précises et de suspendre le P. Preynat. J’ai aussi rencontré plusieurs parents de victimes et même certains de leurs enfants, à la demande des parents. Tous savent que je reste disponible. Il leur suffit d’appeler : ma porte est ouverte.

– Finalement cette association de victimes aide l’Église à y voir clair…

Leur témoignage est la clé qui nous a souvent manqué. C’est ce qui nous éclaire aujourd’hui sur les initiatives de prévention et d’accompagnement que nous devons prendre, pour empêcher que ne se reproduisent de tels faits à l’avenir. Ce témoignage, nous l’avons reçu avec une douleur profonde, mais nécessaire. Au soir de la Messe chrismale, reprenant les mots du pape François, j’ai demandé publiquement pardon au nom de l’Église et en mon nom personnel pour le mal commis par quelques prêtres. Je le referai autant de fois qu’il faudra. Les victimes ont leur place dans ma prière quotidienne.

– Est-il envisageable que le diocèse rencontre cette association ?

C’est vraiment mon souhait. D’ailleurs, une rencontre a déjà eu lieu avec plusieurs de nos frères prêtres, et elle portera certainement son fruit. L’objectif de l’association est de conduire à la vérité et à une liberté qui sont réparatrices. Même si ce but a pu être instrumentalisé au plan médiatique, on voit qu’il trouve un large écho dans la société. Une juste libération de la parole, même dans la douleur, aide les victimes à se reconstruire et pousse l’Église à se réformer, à avancer. Le grand scandale, c’est qu’un représentant de Jésus, supposé incarner la défense des plus petits, ait abusé de certains d’entre eux !

– Cette association réveille aussi de très anciennes histoires dans tous les diocèses de France désormais, il n’y a plus une affaire Barbarin mais de multiples affaires similaires…

C’est l’occasion d’un examen de conscience général. Un évêque nommé dans un diocèse hérite d’une longue histoire et de nombreux choix de ses prédécesseurs. Cette démarche doit se vivre au présent : que faut-il faire aujourd’hui pour réparer les erreurs du passé et empêcher qu’elles ne se reproduisent demain ? Reste que ces actes abominables sont une profonde humiliation pour l’Église. On a utilisé parfois le terme d’omerta, mais il me semble que celui de honte serait plus approprié. C’est précisément ce que j’ai dit un jour à une journaliste qui se faisait passer pour une victime auprès de moi. Je l’ai encouragée à porter plainte : « Le plus important, c’est vous… Tant pis, si c’est une honte supplémentaire pour l’Église ! »

– Il a fallu la pression médiatique pour faire bouger l’Église. Mais a-t-elle suffisamment pris conscience du choc et du drame durable représentés par ces agressions sur les victimes ?

Pas assez ! Cette prise de conscience est progressive et elle n’est pas achevée. À chaque fois que je rencontre une victime, je prends davantage conscience de l’immensité des dégâts… Un prêtre âgé de mon diocèse a tenu des propos inadmissibles devant les médias, avant une rencontre qui se tenait justement au sujet de la pédophilie. Il a reconnu qu’il n’aurait jamais dû dire cela à la sortie, car nous avions entendu le témoignage d’une des victimes du P. Preynat. Il semblait avoir pris conscience du désastre… Seule l’écoute des victimes permet cela.

– Que peut faire votre diocèse pour réparer ce mal s’il est réparable ?

C’est une question difficile, mais essentielle. Tout commence par l’écoute qui doit déjà, par elle-même, être réparatrice. Cela demande d’y consacrer tout le temps nécessaire, d’accueillir avec attention, compassion, bienveillance… Cette écoute nous permet, avec le concours de la justice, des médecins, des psychologues… de chercher des solutions adaptées à chaque personne, et d’abord la reconnaissance de la qualité de victime.

– Quelles mesures concrètes allez-vous prendre ?

Pour la pédophilie, la tolérance zéro s’impose. Les faits terribles et anciens qui ont ressurgi, en ce premier trimestre 2016, posent une autre question : celle de la gestion de faits remontant aux années 70, 80 ou 90, gérés comme on les réglait à l’époque, c’est à dire peu, ou mal, ou pas du tout, et dans le meilleur des cas, selon des critères qui nous semblent aujourd’hui incompréhensibles ou périmés. L’heure est venue de réexaminer les vieux dossiers et d’accomplir un grand travail de purification. Concrètement, à Lyon, une cellule d’écoute fonctionne déjà depuis plusieurs semaines. Elle permet aux victimes et à leurs proches d’avoir un interlocuteur direct pour les accompagner. Nous avons également constitué un collège d’experts pour étudier le cas de certains prêtres dont la situation est problématique. Il est composé d’un haut magistrat, d’un psychiatre, d’une psychanalyste, d’un avocat, d’un médecin, d’une canoniste, d’une assistante sociale, d’une mère et d’un père de famille. Ils travaillent depuis début avril et ils auront rendu leurs avis pour le 30 juin. Par ailleurs, nous allons prendre des mesures de prévention et de formation pour tous les agents pastoraux (prêtres, diacres et laïcs) ainsi qu’une charte pour la protection de l’enfance et l’accompagnement des victimes et de leurs proches.

– Mais pourquoi, pour les affaires anciennes, n’avez-vous pas appliqué la « tolérance zéro » dont vous avez fait preuve quand vous avez été confrontés à des affaires nouvelles ?

Parce que justement, ces faits étaient anciens et antérieurs à mon épiscopat, ils avaient été « gérés » par mes prédécesseurs. En l’absence de plainte et d’éléments nouveaux, et parce que je n’avais pas une connaissance précise des faits, je n’ai pas reconsidéré la situation.

– Avez-vous commis là une erreur ?

Oui, et je vois aujourd’hui que c’est vraiment ici que se tient le virage de la lutte contre la pédophilie : la responsabilité que nous portons à l’égard des victimes doit désormais s’appliquer à tous les cas, aussi anciens soient-ils.

– Plus de prescription donc…

Le législateur considère que, passé un certain délai, il y a un plus grand désordre pour la société à rouvrir les vieux dossiers qu’à les refermer. L’Église ne peut pas considérer la question sous cet angle. Prenant le point de vue des familles qui veulent confier leurs enfants à « une maison sûre », elle a décidé de ne plus jamais donner de responsabilité pastorale à un prêtre pédophile et ce, quelle que soit l’ancienneté des faits, car ce sont des crimes contre l’enfance.

– Avez-vous commis une erreur en n’éloignant pas du service pastoral, selon le principe de précaution, des prêtres déjà condamnés pour problèmes de mœurs qui avaient accompli leur peine ?

Pour les prêtres pédophiles, la question de la reprise d’un ministère pastoral ne se pose plus : c’est impossible. Mais pour tous les autres (non-lieu, plainte sans suite, agressions avérées sur majeurs) il existe une telle variété de situations que l’on ne peut pas statuer en général, mais seulement au cas par cas. C’est la mission du collège d’experts dont je vous ai parlé, de m’éclairer sur les décisions à prendre.

– Sur l’ensemble de ces affaires vous avez affirmé « ne jamais avoir couvert » de prêtres pédophiles et pourtant beaucoup vous accusent d’avoir couvert des affaires ?

Couvrir, c’est savoir qu’un coupable commet ces crimes et le laisser agir. Ce serait effroyable ! Précisément, quand j’ai rencontré le P. Preynat, je me suis trouvé face à un homme qui reconnaissait son passé honteux, mais qui m’assurait n’avoir plus jamais commis aucun nouvel acte de ce type depuis 1991. Mais ces actes terribles, aussi anciens soient-ils, ont généré une souffrance immense. Pour les victimes, il était inconcevable de laisser ce prêtre en fonction : je l’ai compris bien tard… et seulement quand j’ai vu leur réaction.

– Regrettez-vous d’avoir agi ainsi ?

Bien sûr. Je n’avais pas mesuré que cet acte de miséricorde à l’égard des prêtres coupables était une nouvelle souffrance pour les victimes qui y ont vu une forme de déni et qui ne se sont pas senties comprises ni même respectées. C’est une question de responsabilité vis-à-vis des victimes et de toutes les familles qui confient leurs enfants à l’Église.

– Craignez-vous la sortie d’autres affaires ?

Je m’engage à prendre une obligation de moyens pour que soit regardé attentivement le cas de tous les prêtres concernés de près ou de loin, même pour des faits très anciens, même juridiquement prescrits, et à rendre publiques mes décisions cet été. Il faut que les catholiques sachent que si un prêtre officie dans leur paroisse, c’est qu’il n’a pas à rougir de son passé en ce domaine. Bien sûr, d’autres affaires peuvent être révélées, soit parce que nous les ignorons, soit parce qu’elles surviendraient à l’avenir. C’est la raison pour laquelle il nous faut aussi nous engager fermement en matière de prévention et de formation.

– Comment envisagez-vous votre convocation par les services de police chargés de l’enquête ?

Avec sérénité. J’ai déjà donné mon témoignage à l’automne 2015 et j’ai remis toutes les informations dont je disposais alors. Comme les victimes, nous souhaitons que toute la vérité soit faite, espérant que cela leur permettra de retrouver un peu de paix.

– Vous sentez-vous accusé à juste titre sur certains points ou vraiment, injustement ?

Je refais mon examen de conscience : il n’y a, à ma connaissance, pas un seul enfant qui ait eu à souffrir des décisions que j’ai prises en tant qu’évêque. Mais des erreurs de gouvernance expliquent en partie cet immense scandale dans l’opinion. De cela, je demande pardon au Seigneur et à tous. Concrètement, aujourd’hui, nous sommes nombreux, prêtres, évêques, religieux et fidèles, à avoir le sentiment de porter les fautes de tel ou tel de nos frères. Étrange expérience spirituelle, devant laquelle il ne faut surtout pas se dérober.

– Quelles sont les conséquences pour la crédibilité de l’Église dans la société ?

L’Église n’a pas à se soucier d’elle-même. Dans cette épreuve, nous pouvons compter également sur le soutien des fidèles et des prêtres, sur l’expertise de nombreux laïcs, ainsi que sur l’aide des victimes qui, en prenant la parole, ont contribué à cette prise de conscience et nous ont conduits à l’adoption de nouvelles mesures. Mon grand désir, c’est que Dieu guérisse tout ce qui doit l’être et qu’Il nous montre comment être à la fois ses témoins et les serviteurs de nos frères.

En savoir plus
Écouter l’interview du cardinal Barbarin sur RCF Lyon, vendredi 20 mai 2016.

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